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La nuit étoilée

Qui, une fois la nuit venue, n’a jamais contemplé le ciel étoilé depuis sa chambre ? Ce spectacle propice à la méditation est pourtant relativement épuré, d’un point de vue purement visuel. Un fond noir, une boule jaune, des points blancs. L’infini, c’est cela. Un vertige à la portée des yeux, chaque nuit, et que Van Gogh a magnifiquement su représenter sur l’une de ses plus célèbres toiles.

Genèse d’un chef-d’œuvre

Le 8 mai 1889, Vincent Van Gogh décide de se faire interner à l’asile Saint-Paul-de-Mausole, dans la ville de Saint-Rémy de Provence. Il est en effet sujet depuis plusieurs mois à de nombreuses crises de démence. Le 23 décembre 1888, il se coupe l’oreille suite à une dispute consécutive à un désaccord artistique avec Paul Gauguin : un acte de folie devenu acte artistique majeur lorsqu’il en réalisera un autoportrait. Dans les mois qui suivent, il lui sera reproché plusieurs autres crises, si bien que son internement est réclamé.

De jour, par beau temps, par mauvais temps : Van Gogh réalise plusieurs tableaux depuis la fenêtre de sa chambre. Un seul est peint de nuit, il s’agit de La Nuit Etoilée. Ce n’est pas le premier tableau de nuit peint par Van Gogh, cependant : l’année précédente, il en peint même deux : Terrasse du café le soir, où le ciel est discret mais déjà parsemé d’étoiles, et surtout Nuit étoilée sur le Rhône, une étonnante juxtaposition des lumières artificielles dont les reflets hésitants s’étendent sur le fleuve et d’un ciel où brillent une myriade d’étoiles de tailles et de formes diverses. Éphémères lumières de l’homme, face aux éternelles lumières du ciel, qui fascinent le peintre, comme il l’explique dans l’une de ses lettres, adressée à sa sœur :

Souvent, il me semble que la nuit est encore plus richement colorée que le jour.

Le très fameux Autoportrait à l’oreille bandée, peint en 1889.

La correspondance de Van Gogh, notamment avec son frère Théo, est source de précieuses indications sur son travail. Curieusement, Van Gogh est assez peu prolixe concernant La Nuit Etoilée. C’est qu’il ne semble pas apprécier ce qui est aujourd’hui considéré comme un chef-d’œuvre : il ira jusqu’à le qualifier d’échec dans une lettre adressé en 1889 au peintre Emile Bernard !

Après la folie, l’infini

Mais alors que voit-on, sur ce tableau ? Au premier plan, une forme sombre, menaçante, élancée vers le ciel. Elle ressemble presque à un bûcher de flammes noires : c’est en réalité un cyprès. Plus loin, les maisons de Saint-Rémy de Provence. Et, enfin, le ciel, qui occupe toute la partie supérieure du tableau. Des formes rondes, jaunes ou blanches, parsèment un ciel bleu sombre, au milieu duquel tourne un énorme tourbillon. On s’y perdrait.

Ce tableau est-il réaliste et fidèle au ciel, d’un point de vue astronomique ? Déjà, tentons de repérer les divers objets cosmiques qui y figurent. Il y a, bien évidemment, la Lune. Mais aussi Vénus, qui apparaît comme l’astre le plus brillant, un peu au-dessus de l’horizon.

La nébuleuse NGC 2818

Mais alors, ce tourbillon ? Il s’agit d’une galaxie, ou plutôt d’une nébuleuse, comme on les appelait encore à cette époque, où l’on croyait que l’Univers se composait seulement de la Voie Lactée, notre galaxie. Aujourd’hui le terme de nébuleuse fait référence à ces objets composés de gaz et de poussière interstellaire, dont les photographies prises par le télescope spatial Hubble ressemblent à de grandes fresques chaotiques. Les galaxies en tant qu’objets stellaires éloignés de notre galaxie furent découverts dans les années 1920 par Edwin Hubble : on les surnomma d’abord des « Univers-îles » notre Voie Lactée n’était en réalité qu’une galaxie parmi tant et tant d’autres… Van Gogh ignorait combien d’étoiles et de planètes il peignait en réalité…

Cette galaxie évidemment invisible à l’œil nu est la pièce centrale de ce tableau. Van Gogh la réalise probablement en reprenant les illustrations astronomiques populaires de Camille Flammarion, dont les ouvrages de vulgarisation connaissent alors un grand succès.

Le 25 juin 1889, Van Gogh écrit à son frère Théo qu’il a enfin achevé La Nuit étoilée. Supposant qu’un tableau tel que celui-ci doit nécessiter plusieurs semaines de travail, l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet, au moyen de logiciels de reconstitution astronomique qui permettent de calculer l’aspect exact du ciel dans le passé, a pu déterminer le moment exact où Van Gogh a commencé son tableau. La science au service de l’art : le 25 mai 1889, à très précisément quatre heures quarante du matin, le ciel au-dessus de Saint-Rémy de Provence présente exactement la même configuration que celle peinte sur le tableau, avec donc, comme l’explique Jean-Pierre Luminet dans une vidéo consacrée au sujet :

Le croissant de Lune, Vénus apparaissant au-dessus de l’horizon, un couple d’étoiles de part et d’autre du grand cyprès.

De gauche à droite : Terrasse du café le soir (1888), Nuit étoilée sur le Rhône (1888) et La Nuit étoilée (1889).

Les interprétations du ciel de La Nuit étoilée sont diverses ; la plupart insistent sur son caractère spirituel, voire religieux. Peut-être. Toujours est-il que son réalisme, masqué derrière une profusion de formes et de couleurs, montre aussi l’intérêt de Van Gogh pour l’astronomie.

En mettant à côté ces trois tableaux de nuits étoilées peints par Van Gogh dans l’ordre de leur réalisation, on remarque l’effacement progressif de l’homme : une terrasse bien bondée sur le premier tableau, un couple qui semble perdu sur le second, et rien sur le troisième. Il en va de même pour les lumières artificielles : l’intense lumière de la ville laisse place à quelques lumières, au loin, que seul le fleuve permet de mettre en avant, et finalement quelques maisons faiblement éclairées. Sur La Nuit étoilée, c’est le ciel qui est éclairé de mille feux, et la terre qui est sombre. Comme si le ciel dévorait peu à peu l’homme. Où peut-être est-ce la pudeur du peintre face à un sujet aussi difficile. Ou alors Van Gogh mesure, au fur et à mesure de ses lectures astronomiques, combien la place de l’homme est dérisoire dans la vaste immensité de l’espace et du temps.

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