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Les Pléiades : du mythe à la science

Les Pléiades sont un amas d’étoiles situées dans la constellation du Taureau, à près de 450 années-lumière de distance. Elles sont parmi les étoiles les plus visibles du ciel, et peuvent être observées depuis les deux hémisphères de la Terre. C’est peut-être pour cela qu’elles accompagnent l’homme depuis, semble-t-il, toujours, dans ses mythes et ses poèmes. Et il faut creuser dans l’histoire lointaine pour se faire une idée, mince et fugace mais fascinante, du rôle des Pléiades à travers les âges.

Avant le crépuscule des dieux

Peut-on se figurer ce qu’étaient les cieux étoilés pour nos ancêtres, avant que la science ne vienne déloger le mythe ? Il suffit de lever les yeux, par une belle nuit d’été, loin de la funeste pollution lumineuse des grandes villes, pour être pris de vertige. Et pourtant, ces étoiles, nous les connaissons, les cartographions, les comprenons. Que pouvait alors ressentir nos ancêtres en contemplant la Lune, les constellations ou cette immense traînée blanche que nous appelons aujourd’hui la Voie Lactée ?

Un groupe d’étoiles, dans l’histoire universelle de l’humanité, se fait particulièrement remarquer. Après tout, rien d’étonnant, ces étoiles sont parmi les plus lumineuses. Traditionnellement, on les dit au nombre de sept, quoiqu’une douzaine soient en fait visibles à l’œil nu. Leur nom vient de la mythologie grecque. Les Pléiades ! Ce sont sept sœurs, les filles du titan Atlas et de la nymphe Pléion. Un livre ne suffirait pas pour raconter leurs vies, leurs amours et leurs chagrins. Le récit de leur métamorphose en étoile varie selon les époques et les auteurs, mais la version la plus fameuse raconte qu’elle furent pourchassées pendant cinq ans par Orion, frappé par leur beauté. Zeus, pour les sauver, les changea en colombes et, après leur mort, elles furent placées dans leur ciel. Cruel destin : après sa mort, Orion fut également représenté dans le ciel (la fameuse constellation éponyme), pourchassant les Pléiades à tout jamais, nuit après nuit.

Nicolas Poussin – Paysage avec Orion aveugle cherchant le Soleil (1658)

Les Pléiades, symbole de cette l’époque où l’homme n’avait pas encore délogé les dieux de leur place dans le cosmos, se retrouvent un peu partout. L’Ancien Testament les mentionne trois fois, et toujours en citant Orion en même temps. Le prophète Mahomet les aurait observés, comptant plus d’étoiles que ce pouvait voir un observateur à l’œil nu. Dans la mythologie nordique, elles étaient considérées comme les poules de la déesse Freyja. A noter : les coccinelles étaient autrefois surnommées Freyjuhoena, soit justement les poules de Freyja (un peu comme nous les surnommons parfois les bêtes à bon Dieu), et les sept étoiles des Pléiades correspondraient aux sept points de la coccinelle… En fait, cette comparaison d’une poule suivie de ses poussins se retrouve en Europe, en Afrique de l’Ouest, dans le nord-est de l’Inde et même jusqu’en Asie du sud-est ! Quant aux Celtes, ils associaient les Pléiades au deuil et aux funérailles, car elles montaient dans le ciel lorsque le Soleil se couchait, entre l’automne et l’hiver, au moment où ils célébraient le souvenir de leurs défunts lors des fêtes de Samain.

On retrouve également les Pléiades dans de très nombreux mythes et folklores traditionnels, sur tous les continents et à toutes les époques.

La plus ancienne représentation connue des Pléiades figure sur un disque de bronze daté de 3 600 ans : le disque de Nébra. Découvert par des pilleurs en 1999 en Allemagne, puis saisi en 2002 par des policiers s’étant fait passer pour de potentiels acheteurs, ce disque de 2 kilos et 30 centimètres de diamètre est si extraordinaire que son authenticité a été mise en doute. Pensez-y : c’est non seulement la plus ancienne représentation connue des Pléiades, mais aussi et tout simplement la plus ancienne représentation connue de la voûte céleste !

Y apparaissent notamment le Soleil (ou bien une pleine Lune), un croissant de Lune, plusieurs étoiles, et nos fameuses Pléiades, au nombre de six. Vestige unique et fascinant de l’Âge du Bronze, le disque interroge. Est-il une simple représentation artistique, un calendrier, un objet sacré ? Sans doute un peu de tout cela, et bien plus encore.

Les Bretons dont je fais partie apprécieront : l’amas des Pléiades aurait peut-être été représenté auparavant, en témoignerait le positionnement des alignements de Lagatjar, dans le Finistère. C’est en tout cas ce que pensait le journaliste  Georges-Gustave Toudouze :

L’alignement de Camaret répond en orientation à la constellation des Pléiades  et plus particulièrement au groupe dit la Poussinière, situation dont le village voisin aurait tiré ce très vieux nom : Lagat-jar, qui signifie « Oeil de poule ».

Une hypothèse audacieuse va encore plus loin : les grottes préhistoriques du Paléolithique seraient en fait les tous premiers observatoires terrestres, et les peintures rupestres seraient la représentation du décor céleste de l’époque et des événements qui l’animaient alors. Ainsi, la fameuse salle du Taureau de la grotte de Lascaux serait décorée des fameuses Pléiades, juste au-dessus du dit animal… Aussi fascinante soit-elle, cette hypothèse est hautement controversée, et ne s’appuie en fait sur rien de concret. Il est bien sûr possible d’imaginer nos ancêtres les plus lointains comme étant de fins observateurs du ciel, mais rien n’atteste non plus qu’ils aient orné leurs murs de constellations…

Dans la littérature, c’est Hésiode, le grand poète grec qui, le premier, évoque les Pléiades, à quatre reprises, dans son chef-d’œuvre Les Travaux et les jours, au VIIIe siècle avant Jésus-Christ. Leur position dans le ciel, leur apparition ou leur disparition est à surveiller selon que l’on veuille moissonner, révolter, labourer ou naviguer sur la mer.

Ainsi, il prévient :

Si le désir de la périlleuse navigation s’est emparé de ton âme, redoute l’époque où les Pléiades, fuyant l’impétueux Orion, se plongent dans le sombre Océan ; alors se déchaîne le souffle de tous les vents ; n’expose pas tes navires aux fureurs de la mer ténébreuse.

Homère les mentionne également dans son Odyssée.

Les Pléiades, photographiées par le télescope WIYN. (crédits : NAO)

Le rôle des Pléiades

Mais alors pourquoi les Pléiades disposent de cette place si particulière auprès de l’homme ? D’abord parce qu’elles se repèrent très facilement dans le ciel. Ce fut un long travail pour l’homme, que de réussir à se repérer depuis le sol parmi cette multitude de points lumineux ! Il a du remarquer certaines étoiles plutôt que d’autres, noter leurs mouvements, leur apparition ou leur disparition dans le ciel nocturne, ici et là. C’est ainsi que sont notamment nés les calendriers, et que pouvait se mesurer l’écoulement du temps : par l’observation minutieuse de la danse du ciel. L’alternance du Soleil et de la Lune fixent les jours, les différentes phases de la Lune fixent le mois, les solstices fixent les saisons, et les étoiles les années, par exemple.

L’excellente visibilité des Pléiades est à ce titre très utile, et explique pourquoi elles sont si souvent utilisées dans les calendriers naissants, comme le rappelle un article de l’encyclopédie Imago Mundi :

Les anciens Égyptiens donnaient au mois de novembre le nom d’Athar-aye, « mois des Pléiades » ou d’Athor, et il en était de même chez les Mésopotamiens et les Hébreux. On trouve la même division de l’année en Polynésie, une moitié de l’année est appelée Matarii i nia « les Pléiades dessus », et l’autre moitié Matarii i raro « les Pléiades dessous ». Les Aborigènes australiens fêtent de la même façon en novembre les Mormodellick, ou Pléiades.

En plus de permettre de mesurer l’écoulement du temps, la danse des étoiles et des Pléiades annoncent le temps à venir et aident ainsi l’agriculture. Leur apparition à l’est annonce l’arrivée du froid. Et leur lever héliaque (c’est-à-dire le moment où elles sont visibles à l’aube, peu avant le lever du Soleil) annonce la promesse de jours plus favorables, et donc le début des moissons.

Hésiode l’écrivait ainsi, toujours dans Les Travaux et les jours :

Commence la moisson quand les Pléiades, filles d’Atlas, se lèvent dans les cieux, et le labourage quand elles disparaissent ; elles demeurent cachées quarante jours et quarante nuits, et se montrent de nouveau lorsque l’année est révolue, à l’époque où s’aiguise le tranchant du fer.

Il en aura fallu du temps pour que l’homme, en pensée, réussisse à s’extraire de la Terre pour comprendre sa place dans le cosmos et décrypter peu à peu cette grande toile qui se dévoile une fois le Soleil couché.

Les mythes auront permis de passer de génération en génération, des chasseurs cueilleurs du Paléolithique jusqu’aux premiers astronomes de l’antiquité la connaissance pratique de la danse des étoiles, utile à l’agriculture et à la navigation, permettant ainsi finalement de comprendre la terre avant de chercher à comprendre le ciel – et de remplacer les Dieux par les étoiles.

(Image de couverture : Elihu Vedder – Les Pléiades (1885)).

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