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Artemis : objectif Lune 2024 ?

Le 26 mars 2019, le vice-président américain Mike Pence dévoile les ambitions spatiales du président Trump : retourner sur la Lune d’ici 2024, soit quatre ans de moins par rapport à ce que prévoyait initialement la NASA. Mission cependant aussitôt acceptée par l’agence spatiale. Depuis, ce programme a pris le nom d’Artemis – la sœur d’Apollon dans la mythologie grecque. Forcément, c’est excitant… Mais un délai aussi court est-il réellement tenable ?

L’éternel retour

A vrai dire, ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement américain évoque un retour de l’homme sur la Lune, afin de poursuivre les rêves d’espace des années 60 et 70. George Bush père annonça lors du vingtième anniversaire de la mission Apollo 11, en 1989, qu’il prévoyait de relancer le programme lunaire puis d’envoyer l’homme sur Mars. Ce programme ambitieux dont le coût était estimé à près de 500 milliards de dollars étalés sur deux à trois décennies fut abandonné en 1991 au profit de missions plus rapides à développer, moins coûteuses et plus efficaces (la fameuse stratégie faster, better, cheaper), en privilégiant notamment l’exploration robotique plutôt qu’humaine. En 2004, son fils désire à son tour renouer avec le succès des missions Apollo et prévoit d’envoyer des robots explorer la Lune en 2008 avant d’y faire marcher des hommes en 2020. Le programme Constellation de la NASA traduit cette ambition, mais sera annulé sous la présidence Obama, en 2010, là encore par manque de budget et pour cause de retard.

Eugene Cernan est le dernier homme à avoir marché sur la Lune, en décembre 1972.

La différence, cette fois, c’et le délai : 5 ans seulement ! Mais est-ce vraiment si ambitieux ? Après tout, seulement neuf ans séparent le fameux discours de Kennedy annonçant sa volonté d’emmener l’homme sur la Lune, en 1962, et les premiers pas de Neil Armstrong là-bas, en 1969 ! Ne sommes-nous pas capables de réaliser le même exploit avec quelques années de moins ? Rappelons tout de même que 50 ans avant la mission Apollo XI, l’homme réalisait le premier vol transatlantique de l’histoire… Quels progrès avons-nous accomplis, nous, en un demi-siècle ?

Artemis ?

Le programme Artemis s’articule pour le moment autour de trois grandes phases :

  • Artemis 1 sera un vol test non habité du véhicule spatial Orion, prévu pour le début de l’année 2021
  • Artemis 2 emportera Orion et un équipage d’astronautes autour de la Lune en 2022, tandis qu’une petite station spatiale, le Lunar Gateway, sera placée en orbite autour de la Lune
  • Et Artemis 3 enverra des astronautes depuis la capsule Orion jusqu’au Lunar Gateway. Depuis la station, un homme et une femme se poseront ensuite sur la Lune à l’aide d’un module lunaire.

C’est le pôle sud de la Lune qui a été choisi comme lieu d’atterrissage du module, où la présence d’importantes réserves d’eau glacée est soupçonnée.

La NASA tient à le préciser : si elle se rend à nouveau sur la Lune, cette fois, c’est pour y rester, envisageant d’y établir une base qui pourrait servir de plate-forme vers des destinations plus lointaines dont, évidemment, Mars.

Mike Pence lors de son discours fin mars, en Alabama. (crédits : Maison Blanche)

Mouais…

Il y a hélas de nombreuses raisons d’être dubitatif face à ce qui ne semble être, pour le moment, qu’un effet d’annonce. La première est évidente, c’est le nerf de la guerre : l’argent. Aller sur la Lune coûte cher, très cher, horriblement cher, et un tel projet doit être accompagné d’une allonge conséquente du budget de la NASA sur plusieurs années. Ce fut le cas lors des missions Apollo : après le fameux discours de Kennedy, le budget de la NASA avait progressivement augmenté jusqu’en 1965. Il atteignait alors 4,5% du budget total du gouvernement américain, ce qui représenterait environ 42 milliards de dollars d’aujourd’hui. Au total, les Etats-Unis auraient dépensé à l’époque  112 milliards de dollars, toujours en tenant compte de l’inflation !

Une timide augmentation du budget de l’agence spatiale américaine, de 1,6 milliard de dollars, a certes été annoncée en mai dernier. C’est peu, bien peu : la NASA estime qu’il lui faudra 20 à 30 milliards de dollars, au total, pour retourner sur la Lune. Faudra-t-il donc sacrifier d’autres programmes ou missions pour permettre à Artemis de suivre les pas de son frère ?

Le budget de la NASA depuis les années 60. (crédits : Agence Science-Presse)

On pourrait tout de même arguer que certains équipements qui seront utilisés pour le programme Artemis sont déjà en développement depuis plusieurs années. C’est exact, mais ces équipements sont parfois eux-mêmes des raisons supplémentaires de douter du calendrier établi par le vice-président américain… C’est le cas du lanceur lourd Space Launch System (SLS), qui doit être aux missions Artemis ce que fut la Saturn V aux missions Apollo. Le SLS est un symbole, et mériterait à lui tout seul un article. Développée par Boeing, il accumule les retards et les dépassements de budget… Son vol inaugural est désormais prévu pour juin 2021, croisons les doigts !

La station Lunar Gateway, en orbite lunaire, chargée d’être une plate-forme d’accueil entre la Terre et le sol lunaire, a été simplifiée pour répondre à l’urgence du projet mais n’existe encore pour le moment qu’à l’état de concept.

Quant à l’atterrisseur chargée de transporter les astronautes entre la station et le sol lunaire, il n’existe tout simplement pas. Rien d’impossible, même au regard du calendrier, mais difficile sans un budget conséquent !

Autre obstacle, et non des moindres : la politique. L’année 2024 n’a pas été choisie au hasard : si Donald Trump est réélu, il s’agira de sa dernière année en tant que président. Le retour tant espéré de l’homme sur la Lune pour clôturer un mandat… Quoi de mieux pour entrer dans l’histoire ? Mais les humeurs fantasques de Trump laissent parfois dubitatif : et s’il changeait d’avis ? Un tweet qui n’est pas passé inaperçu peut le laisser à penser : il déclare qu’au vu de l’argent dépensé, la NASA devrait plutôt se focaliser sur Mars que sur la Lune… Il est aussi possible qu’il ne soit pas réélu, tout simplement, et que son successeur décide d’annuler le programme – après tout, les raisons ne manqueront pas !

Quarante-cinq ans après son dernier vol, le lanceur Saturn V, développé pour les mission Apollo, reste le plus puissant jamais conçu !

Ouais !

L’homme est ainsi fait : ses désirs d’exploration et de découverte le poussent à franchir les montagnes, traverser les océans, s’élever vers les étoiles. Après quarante années passées à se contenter de l’orbite terrestre basse, l’homme serait-il de retour dans l’espace ? De nouveau, on se prend à rêver à de nouveaux horizons, à imaginer une base lunaire constamment occupée, à espérer voir des astronautes marcher sur Mars de notre vivant…

Faut-il y croire, à ce programme ? Allez, soyons optimistes. Au moins, nous aurons rêvés, quitte à être déçus au réveil.

Depuis les années 60, l’industrie spatiale a énormément évolué, et il faut désormais compter avec une multitude d’entreprises privées, SpaceX et Blue Origin en tête. Dans son discours en mars, Mike Pence est catégorique : la NASA doit se rendre sur la Lune en 2024 par tous les moyens nécessaires, et cela n’exclue évidemment pas de revoir certains contrats en cours pour y arriver.

Évoquant clairement les retards du lanceur Space Launch System, il précise :

Si nos prestataires actuels ne peuvent pas atteindre cet objectif, nous en trouverons d’autres qui le pourront. […] Et si les fusées commerciales sont le seul moyen d’emmener les astronautes américains sur la Lune au cours des cinq prochaines années, alors ce seront des fusées commerciales.

Depuis, Blue Origin a présenté un premier concept d’atterrisseur lunaire, appelé Blue Moon. S’il n’est pas conçu pour embarquer des astronautes, il pourrait tout à fait servir pour transférer du fret entre la station Gateway et la surface lunaire. Blue Origin se dit prête à travailler en ce sens avec la NASA.

Le rover Yutu-2. (crédits : CNSA)

La géopolitique mondiale, une fois de plus, pourrait bénéficier au projet. La course à l’espace semble bien être repartie, et la Lune en est le premier jalon ! La Chine, sans grande communication mais avec beaucoup d’efficacité, multiplie les succès avec ses robots, et notamment Chang’e 4 et son rover Yutu-2, le premier à explorer la face cachée de la Lune. Elle compte y envoyer des hommes à la fin de la décennie 2020. Si les projets russes, européens ou même indiens sont encore assez nébuleux, ils sont la preuve que les acteurs spatiaux se multiplient sur la scène internationale. C’est ainsi et c’est tant mieux : l’espace est en train de devenir multipolaire. Les américains se laisseront-ils distancer ?

Bon… Où en est-on ?

Ces derniers jours, plusieurs annonces sont venues alimenter les espoirs et les inquiétudes.

Le 10 juillet dernier, la NASA a annoncé le remplacement du responsable des vols spatiaux habités, Bill Gerstenmaier, qui occupait ce poste depuis 2004. La décision, officiellement, a été prise par Jim Bridenstine, actuel administrateur de la NASA, qui a déclaré que le moment était venu pour un nouveau leadership. Officieusement, certains y voient la patte de la Maison Blanche, qui serait frustrée des retards à répétition et souhaiterait accélérer la mise en œuvre du programme Artemis.

Les paroles de Mike Pence, lors de son discours en mars, étaient d’ailleurs éloquentes :

Si la NASA n’est actuellement pas en mesure de poser des astronautes américains sur la Lune dans cinq ans, nous devrons changer l’organisation, pas la mission.

Toujours est-il que le départ de Gerstenmaier inquiète : figure de l’agence dans laquelle il y travaille depuis 1977, c’est un homme expérimenté et soucieux de la sécurité – peut-être au détriment des calendriers ?

Et à mesure que se rapproche la date anniversaire des premiers pas de Neil Armstrong, le 20 juillet, une rumeur grandit au sein de la NASA, : le président Trump préparerait une annonce importante, peut-être même liée… à Mars.

A ce sujet, Bridenstine a déclaré :

Il veut que nous parlions d’aller sur Mars, ce qui est bien entendu l’objectif. Et il comprend que nous devons aller sur la Lune pour nous rendre sur Mars. Mais il veut certainement que nous parlions de Mars, car c’est ce qui capte l’imagination du peuple américain et du monde.

D’autres rumeurs font état d’un programme simplifié, sans la station Gateway, qui est pourtant primordiale pour faciliter le transit entre la Terre et la Lune et sans laquelle Artemis ne risque de devenir, finalement, qu’une mission Apollo de plus… Est-ce vraiment ce que nous attendons du XXIe siècle ?

(crédits image de couverture : Nathan Koga / NSF / L2)

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