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Voir l’invisible – le trou noir

Ce qui semblait impossible ne l’est plus : l’homme est parvenu à voir l’invisible en photographiant l’environnement proche d’un trou noir. L’occasion de méditer sur l’infini, sur les prouesses de l’ingénierie humaine, et sur les mystères qui nous entourent encore. Car même s’il se dévoile un peu, le trou noir reste le gardien de bien des mystères…

 Une image historique

C’est une modeste photo de quelques pixels de couleur noir et orange. Il en va ainsi de la cosmologie : à mesure que l’on s’éloigne de la Terre, il faut apprendre à se contenter de peu. De majestueuses étoiles se transforment en petits points blancs ou rouges. D’immenses galaxies composées de centaines de milliards d’étoiles deviennent de petites taches floues, aux contours mal définis. Mais ce peu, en image, veut pourtant dire beaucoup, en concept.

Car c’est un monstre fascinant qui se dévoile enfin. Le trou noir, un objet cosmique à l’attraction gravitationnelle si intense que rien ne peut s’en échapper, pas même la lumière. En l’occurrence celui qui niche au centre de la galaxie M87. Situé à 55 millions d’années-lumière de la Terre, sa masse est de près de 6,5 milliards de fois celle de notre Soleil !

Pensons-y un instant : pour obtenir cette photo, il aura fallu récolter en une nuit plus de données que pour aucun autre projet scientifique, tous domaines confondus, comme le rappelait l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet dans un article du magazine La Recherche en 2018 :

Une seule nuit d’observation collectait 2 petabytes de données, soit autant qu’une année entière d’expériences au LHC, le grand collisionneur du CERN qui a permis en 2012 la découverte du boson de Higgs-Englert après analyse de 4 millions de milliards de collisions proton-proton…

Le traitement de cette quantité monstrueuse de données aura pris du temps, beaucoup de temps, bien plus que ce qui était prévu initialement, pour finalement obtenir cela : la première image d’un trou noir entouré de son disque d’accrétion. Il ne s’agit pas d’une découverte : des simulations numériques présentaient déjà un résultat similaire depuis plusieurs décennies, avec une qualité d’image évidemment supérieure.

C’est l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet qui proposa la première simulation numérique d’un trou noir, en 1979.

Le chemin vers d’autres mystères

Il ne s’agit pas non plus d’une surprise : le résultat est en tout point conforme à ce qui était attendu. Il s’agit en réalité d’une confirmation expérimentale de plus de la théorie de la Relativité d’Einstein, décidément jamais mise en défaut. Lui, pourtant, ne croyait pas à l’existence des trous noirs, qui n’ont longtemps été considérés que comme de simples artefacts théoriques. Dès la fin du  XVIIIe siècle, le révérend John Michell et le physicien Pierre-Simon de Laplace évoquaient des astres si denses qu’aucune lumière ne pourrait s’en échapper, et qui seraient dès lors invisibles. Mais il faudra attendre les années 1960 pour que la recherche s’empare sérieusement du sujet avec les travaux de Roy Kerr, John Wheeler ou encore Stephen Hawking. Dès lors, les trous noirs entrent dans l’imaginaire collectif, essaimant dans la science-fiction avec plus ou moins de réalisme. En 2015, les laboratoires Ligo et Virgo permettent la détection de trous noirs au travers des ondes gravitationnelles émises par leur coalescence, à 1,3 milliard d’années-lumière de la Terre.

Gargantua, le trou noir du film Interstellar, de Christopher Nolan (2014).

Cette image est aussi une preuve supplémentaire de la beauté des équations, qui permettent d’explorer l’Univers en pensée avec bien plus de précision que le plus puissant des télescopes. Les trous noirs sont nés en concept dans l’esprit de l’homme plus de deux siècles avant d’être véritablement observés, à une époque où personne n’avait la preuve que des planètes tournaient autour d’autres étoiles que notre Soleil, et que l’Univers comportait d’autres galaxies au-delà de notre Voie Lactée.

A ce titre l’astrophysicien Aurélien Barrau, dans une interview donnée à Paris Match, précise :

Pour beaucoup de choses, les équations contiennent énormément plus d’informations que les photos. Et donc je préfère, de loin, connaître la structure de l’espace-temps autour d’un trou noir, que de voir une image de trou noir.

Voilà, le trou noir dispose désormais d’un visage. Ce visage est le symbole du génie humain, capable de grandes prouesses pour observer et comprendre l’environnement dans lequel il vit et meurt. Mais ce visage dévoile aussi nos faiblesses. Car il est en réalité un masque qui dissimule le plus grand secret de la physique. A l’intérieur d’un trou noir, la matière est concentrée dans une région d’une taille infinitésimale, 10 millions de milliards de milliards de fois inférieure à celle de l’atome, appelée singularité. A ce stade notre physique actuelle, basée sur la Relativité générale et la Mécanique quantique, deux théories incompatibles entre elles et qui sont pourtant toutes les deux convoquées à l’intérieur d’un trou noir, est incapable de prévoir ce qu’il advient. Seule une théorie de la gravité quantique permettrait de les unifier, comme la théorie des cordes ou la gravité quantique à boucles. Nous pourrions alors nous aventurer au-delà de cette singularité, contempler l’infini et, peut-être, soulever d’autres questions plus vertigineuses encore…

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