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Une anomalie dans le rayonnement fossile

La toute première lumière émise par l’Univers est riche d’enseignements sur son origine et son évolution à travers l’espace et le temps. Et certains des mystères qu’elle renferme résistent encore aux modèles cosmologiques actuels, laissant la place aux hypothèses les plus audacieuses…

Et la lumière fut

En 1964, Robert Wilson et Arno Penzias, chercheurs pour l’entreprise de télécommunications canadienne Bell, sont chargés de détecter et supprimer les bruits parasites qui interfèrent avec les satellites de communication (tels que ceux des radars ou de la radiodiffusion, par exemple). Ils détectent bientôt un bruit faible, uniforme dans le ciel, présent jour et nuit. Ils vérifient leurs instruments, les nettoient – pensant que le bruit est dû à des fientes d’oiseaux – mais rien n’y fait. Le bruit est toujours là. Ils en concluent qu’il provient probablement de l’extérieur de notre galaxie, la Voie Lactée.

Wilson et Penzias ne se doutent pas encore que la solution à leur mystérieux bruit se trouve à seulement quelques centaines de kilomètres des laboratoires de Bell. Une équipe de chercheurs de l’université de Princeton, menée par le physicien Robert Dicke, cherche à traquer le rayonnement fossile. Il s’agit ni plus ni moins que de la première lumière de l’Univers, prédite dès les années 40 par l’astrophysicien George Gamow. Celle-là même qui a été détectée par Wilson et Penzias, sans le savoir ! C’est le professeur Bernard F. Burke du MIT (Massachusetts Institute of Technology) qui mettra la puce à l’oreille de Penzias, en évoquant avec lui ce fameux rayonnement fossile et les travaux de Robert Dicke.

Il en va des découvertes scientifiques comme de la vie : parfois, c’est le hasard qui gagne. Robert Dicke et son équipe passent à côté d’une découverte majeure, peut-être à quelques mois près, au profit de Wilson et Penzias, qui ont trouvé ce qu’ils ne cherchaient pas, et remportent ainsi le prix Nobel en 1978.

Arno Penzias et Robert Wilson.

La rumeur

Mais alors c’est quoi au juste, ce rayonnement fossile ? C’est tout simplement la première lumière de l’Univers qui soit parvenue jusqu’à nos yeux.L’Univers primordial, durant cette phase appelée le Big Bang, se trouve dans un état extrêmement dense et extrêmement chaud. Les photons sont perpétuellement en interaction avec la matière. Ils ne voyagent pas. L’Univers est une sorte de brouillard. Mais plus il s’étend, et plus il refroidit. 380 000 ans environ après le Big Bang, il s’est suffisamment refroidi pour que se forment les atomes d’hydrogène. Les photons n’interagissant plus avec eux, ils voyagent librement dans l’espace, jusqu’à parvenir aux instruments développés par l’homme, plus de 13 milliards d’années plus tard.

Dans son Dictionnaire amoureux du Ciel et des Etoiles, l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan conclut :

La carte du rayonnement fossile est donc la plus vieille image que nous puissions obtenir de l’univers : elle nous permet de le contempler lorsqu’il était encore dans la prime jeunesse de ses 380 000 ans.

Depuis, l’Univers s’est étendu dans l’espace – de près de mille fois, et refroidi – de près de mille fois également. La température de ce rayonnement fossile est donc très froide : trois degrés au-dessus du zéro absolu (environ 2,72 degrés kelvin).

Le rayonnement fossile se comprend dans le contexte de l’expansion de l’Univers.

Photographier l’instant primordial

Le bruit détecté, il ne restait dès lors plus qu’à le photographier pour obtenir une image merveilleuse de notre Univers adolescent. Il faudra près de vingt-cinq ans pour parvenir à ce résultat, lorsque la NASA envoie dans l’espace un satellite appelé COBE (pour Cosmic Background Explorer ou explorateur du fond diffus cosmologique en français), équipé d’un radiotélescope micro-onde capable de détecter et de mesurer les différences de température du fond diffus cosmologique. Nous sommes alors en 1992, et l’humanité découvre une photographie de l’Univers lorsqu’il n’avait que près de 380 000 ans.

Comme le rappelle Max Tegmark dans son livre Notre Univers Mathématique, le physicien britannique Stephen Hawking annonce à ce sujet qu’il s’agit de :

La découverte la plus importante du siècle, si ce n’est depuis toujours.

COBE révèle également de petites fluctuations de densité de l’univers primordial : la matière n’était alors pas répartie uniformément dans l’Univers. C’est d’ailleurs toujours le cas, ce phénomène s’est même accru avec l’action de la gravité, expliquant la répartition actuelle des galaxies qui se concentrent sur de grandes zones, sous forme de filaments. Ces fluctuations de densité se traduisent dans le fond diffus cosmologiques par des fluctuations de température, aussi appelées anisotropies. Elles sont extrêmement difficiles à repérer, leur amplitude étant de l’ordre du cent-millième de degré !

En 2001, le successeur de COBE, WMAP (pour Wilkinson Microwave Anisotropy Probe) est lancé. Bien plus sensible, bien plus précis, il recense avec une grande précision les infimes fluctuations de température du rayonnement fossile. Il met en évidence ce qui sera bientôt appelé le Point froid (Cold spot) : une région du ciel dans laquelle la température est anormalement froide. Une anomalie, au regard des propriétés du rayonnement fossile. Un endroit qui n’a pas lieu d’être. Un mystère.

La carte du rayonnement fossile livrée en 2013 par le satellite Planck de l’Agence spatiale européenne (ESA), encore plus précise et détaillée, confirment cette anomalie, ce petit grand de sable dans les rouages de nos lois cosmologiques…

Chaque mission affine un peu plus notre regard.
(crédits : Le Figaro)

Vers le multivers

Plusieurs hypothèses ont été proposées pour expliquer ce curieux Point froid :

  • L’influence de l’énergie noire, qui expliquerait bien les zones vides de l’Univers, mais pas d’une taille comme celle du Point froid, dont la probabilité de formation serait dans ce cas très faible
  • La présence d’un gigantesque trou noir, super-super massif,qui aurait absorbé les millions de galaxies qui l’entourent
  • Le point froid serait une sorte de supervide, non pas totalement vide mais avec une densité très faible de galaxies – notez que cela n’explique pas la formation du Point froid

Une hypothèse bien plus controversée, et absolument vertigineuse, est évoquée en 2017 dans un papier du chercheur britannique Ruari Mackenzie, intitulé Evidence against a supervoid causing the CMB Cold Spot (soit en français : preuves qui infirment l’hypothèse d’un supervide qui causerait le point froid du rayonnement fossile). Le Point froid serait la cicatrice laissée sur notre Univers d’une collision avec un autre univers, survenue il y a près de 13 milliards d’années. Deux univers entrant en collision à la manière de deux bulles – soit rien de moins, si cette hypothèse était avérée, qu’une preuve de l’existence du multivers, qui voudrait qu’une infinité d’univers parallèles coexistent !

Vision d’artiste du multivers.
(crédits : Jaime Salcido / EAGLE Collaboration)

En vérité, dès 2007, la physicienne albano-américaine Laura Mersini-Houghton, spécialiste de la théorie du multivers, affirmait déjà que le supervide était :

L’incontestable empreinte d’un autre univers au-delà des frontières du nôtre.

Le fameux multivers… Au-delà de tous nos horizons cosmologiques, à jamais inaccessible, il est abondamment cité dans la science-fiction, et divise énormément la communauté scientifique. Une des critiques récurrentes concerne l’impossibilité de prouver une telle théorie. Si elle ne reste à jamais qu’un fantasme de rêveurs, et même si elle répond à des problématiques cosmologiques, est-elle véritablement scientifique ?

Dans un article au titre audacieux, Peut-on tester les univers parallèles ?, l’astrophysicien Aurélien Barrau écrit :

Peut-être ces univers multiples n’existent-ils pas et constituent-ils une impasse épistémologique ? Mais il serait regrettable de les balayer d’un revers de la main. D’abord parce qu’ils sont prédits par certaines de nos théories (en ce sens, ils ne sont pas une hypothèse mais une conséquence) et qu’il serait incohérent d’user de ces théories en négligeant ce qu’elles génèrent.

A défaut de pouvoir observer directement le multivers, certains chercheurs pensent pouvoir déceler les indices attestant de l’influence d’univers parallèles sur notre Univers. Parmi ceux-ci, le fameux Point froid… Le résultat des recherches de Ruari Mackenzie a fait beaucoup de bruit, surtout dans la presse généraliste : il faut préciser que la mention du multivers tient sur seulement quatre lignes – dans un article de douze pages…

Dans un article publié sur le site IFLSCIENCE!, Mackenzie rappelle :

Les résultats du papier ne disent rien d’une manière ou d’une autre sur possibilité de l’existence d’un multivers. Ce que nous avons essayé de faire était de tester l’affirmation selon laquelle il y avait un énorme supervide aligné avec le Point froid qui était si extrême qu’il aurait pu créer le Point froid du rayonnement fossile, peut-être par un effet qui dépasse la cosmologie standard.

Le désir d’exploration de l’homme se fonde sur sa curiosité à vouloir déceler ce qu’il y au-delà : au-delà des montagnes, des océans, de l’atmosphère terrestre, du Système solaire, de la galaxie, des trous noirs, de l’Univers… Nul ne sait répondre pour le moment à certaines des questions que soulèvent ces nouvelles frontières géographiques et intellectuelles qui, en attendant, sont les pourvoyeuses de nos éternels rêves d’ailleurs…

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