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Pourquoi les mathématiques ?

Les lois immuables de la nature sont inscrites dans un grand livre, écrit dans une langue inaccessible que l’homme cherche à comprendre. Sa première lecture, fondée sur une série de mythes, ne résista guère à l’observation raisonnable du monde. Mais bientôt les dieux se changèrent en astres, révélant ainsi quelques pages du grand livre. Le langage des sciences, les mathématiques, semble fournir une traduction fidèle au grand livre…

Premières lectures du monde

Même si, dans la plus haute préhistoire, très peu d’éléments permettent d’attester de l’apparition et du développement des mathématiques (les premières traces de l’utilisation d’un système de numération remontent à la civilisation sumérienne, vers le IIIe millénaire av. J.-C.), l’hypothèse la plus sérieuse suppose que leur fonction première était utilitaire.

A l’aube de l’humanité, un chasseur-cueilleur nomade accepte de prêter quelques fruits à un autre membre de sa tribu. Quatre pommes, en l’occurrence. Il lui tend donc les fruits d’une main, ainsi que quatre doigts sur l’autre main. Il attendra la même chose en retour. Compter, bien que la notion de nombre encore inconnue de ces deux hommes, est essentiel, pour troquer, se repérer, échanger.

Dans un article intitulé La déraisonnable efficacité des mathématiques, le mathématicien Richard W. Hamming met en évidence deux autres nécessités de l’homme primitif ayant mené à l’apparition des mathématiques :

  • La compréhension des relations entre cause et effet, qui mènent aux raisonnements propres aux mathématiques
  • Le goût pour l’esthétique et la décoration, inhérent notamment aux rites religieux et à la séduction du sexe opposé, qui mènent à la géométrie

Comprendre grâce aux raisonnements logiques, compter grâce aux nombres, esthétiser grâce à la géométrie.

Pythagore fut même, selon certaines sources, l’inventeur des mots « mathématiques » et « philosophie. »

Le célèbre philosophe grec Pythagore fut le premier à lier deux domaines jusque-là éloignés : les mathématiques et la géométrie, en accouplant le nombre et la forme. Pythagore considère le nombre comme l’essence-même du monde. Pour lui, tout est nombre. Il est d’ailleurs également le premier à déceler l’étrange correspondance entre le nombre et la nature.

La science grecque fut portée à un très haut niveau, d’abord grâce à Pythagore, puis Platon, Eudoxe, Hipparque et d’autres sages. Elle est résumée dans un livre, celui de l’astronome grec Claude Ptolémée, L’Almageste. Ecrit au Ier siècle de notre ère, il présente une théorie géométrique expliquant les mouvements des astres dans le ciel nocturne. Les mathématiques fonctionnent éternellement : il est possible de calculer la position de Mars cette nuit en utilisant les travaux de Ptolémée, qui datent tout de même de près de deux mille ans !

Changement de paradigme

Il faut attendre la Renaissance pour que surgissent à nouveau les questionnement sur la troublante correspondance entre la nature et les mathématiques. Dans son ouvrage L’Essayeur (1623), le très grand savant italien Galilée écrit :

La philosophie est écrite dans cet immense livre qui se tient toujours ouvert devant nos yeux, je veux dire l’univers, mais on ne peut le comprendre si l’on ne s’applique d’abord à en comprendre la langue et à connaitre les caractères dans lesquels il est écrit. Il est écrit en langue mathématique, et ses caractères sont des triangles, des cercles et autres figures géométriques, sans le moyen desquels il est humainement impossible d’en comprendre un mot.

Newton par Godfrey Kneller.

Galilée est le premier à utiliser le calcul mathématique pour décrire le fonctionnement de la nature. C’est une révolution qui sera poursuivie notamment par Johannes Kepler (qui découvre les orbites elliptiques des planètes autour du Soleil) et surtout Isaac Newton, l’un des plus grands esprits de l’histoire de l’humanité, et dont la théorie de la gravitation, qui explique comment les corps massifs s’attirent entre eux, demeure un des exemples les plus parlants de la fascinante efficacité des mathématiques. A partir d’un postulat simple : c’est la même force qui régit une pierre que l’on lance sur Terre et le mouvement de la Lune autour de la Terre, Newton en déduit une loi universelle, applicable partout dans l’Univers.

Si la théorie de la gravitation de Newton repose sur des calculs mathématiques, elle est en revanche encore en lien avec l’expérience. De l’expérience, le savant en déduit une loi basée sur les mathématiques.

Aujourd’hui, il en va autrement. Parfois, l’outil mathématique, le calcul, devance l’expérience. En août 1846, l’astronome Le Verrier prédit par le calcul l’existence d’un objet céleste, en l’occurrence la planète Neptune, en remarquant des irrégularités dans l’orbite d’Uranus. Un mois plus tard, sa découverte est confirmée par l’observation.

Neptune et sa lune Triton, immortalisées par la sonde Voyager 2 de la NASA.

Les exemples similaires démontrant l’efficacité prédictive des mathématiques sont nombreux, et notamment dans le domaine de l’infiniment petit :

En cosmologie, l’histoire se répète : depuis quelques années, certains chercheurs proposent l’existence d’une planète située au-delà de Neptune pour expliquer l’étrange orbite de plusieurs objets transneptuniens. Seul le futur télescope spatial James Webb de la NASA (qui sera lancé en 2018) pourrait être en mesure de fournir une image de cette hypothétique planète.

Une vue d’artiste de cette fameuse neuvième planète.

Encore plus étonnant : certains concepts mathématiques, oubliés un temps car considérés comme des erreurs ou de simples jeux d’esprit et donc sans applications concrètes, refont surface après parfois plusieurs décennies. Dans un article consacré à la question de savoir si les mathématiques ont été découvertes ou inventées (question sur laquelle nous reviendrons), l’astrophysicien israélien Mario Livio évoque deux concepts :

  • Les nœuds mathématiques, imaginés par Lord Kelvin dans les années 1860 pour décrire le fonctionnement des atomes, bientôt réfutés et vus comme une branche ésotérique, dénués d’applications pratiques, et pourtant utilisés aujourd’hui dans la théorie des cordes et la gravitation quantique à boucles
  • Les géométries non-euclidiennes de Bernhard Riemann, conçues en 1854 et réutilisées par Einstein pour construire sa théorie de la Relativité Générale plus d’un demi-siècle plus tard !

Einstein, d’ailleurs, s’est lui aussi interrogé sur cette formidable efficacité des outils mathématiques :

Comment se fait-il que les mathématiques, qui sont un produit de la pensée humaine et sont indépendantes de toute expérience, puissent s’adapter d’une façon si admirable aux objets de la réalité ?

Lire la nature

Voilà donc trois qualités étonnantes des mathématiques : elles sont efficaces, prédictives, et durables.

  • Efficaces en ce qu’elles décrivent le monde avec précision et exactitude
  • Prédictives en ce qu’elles permettent d’en déduire d’autres informations sur la nature
  • Durables en ce que le temps ne les rend pas obsolètes

Si d’aventure un concept mathématique ne répond pas à ces trois caractéristiques, soit il est erroné, soit il est trop précurseur. Dans le premier cas il sera vite remplacé par un modèle plus précis, dans le second cas il révélera plus tard son efficacité. Nous avons déjà évoqué les nœuds mathématiques, voici un autre exemple : après avoir découvert Neptune, Le Verrier pense réitérer son exploit. En observant l’orbite de Mercure, il note d’étranges irrégularités, qu’il attribue à une planète qui serait située tout près du Soleil, et qu’il appelle Vulcain. Or il se trompe, Vulcain n’existe évidemment pas. Le Verrier ne connaît tout simplement pas encore la théorie qui permet d’expliquer ces irrégularités : elle s’appelle Relativité générale et sera mise au point par Einstein en 1915.

Efficaces, prédictives et durables. Quelle place accorder aux mathématiques dans notre définition du réel ? Doit-on considérer qu’elles ont été découvertes ou bien inventées par l’homme ? C’est là une toute autre question…

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