Arecibo – Un phare dans la nuit cosmique
L’année 2020 s’achève donc par une bien triste nouvelle astronomique : le radiotélescope d’Arecibo sera démantelé suite aux deux incidents survenus récemment. Retour sur un symbole à l’héritage scientifique immense, qui aura vécu plus d’un demi-siècle.
Le télescope de tous les records
Les origines du télescope d’Arecibo remontent aux années 50 et aux travaux de William Gordon (1918 – 2010), professeur en génie électrique à l’Université de Cornell (Etats-Unis). Gordon souhaite disposer d’un instrument pour étudier l’ionosphère, la couche supérieure de l’atmosphère terrestre, au-delà de 60 km d’altitude. Pour cela, il prévoit d’y envoyer des signaux radio. Ce sont ses calculs qui permettront de mettre au point ce qui deviendra le futur télescope d’Arecibo.
Arecibo est une petite ville de Porto Rico, une île qui appartient au territoire des Etats-Unis mais n’est pas considérée comme un état de l’Union. Concrètement, le président des Etats-Unis en est bien le chef, la constitution américaine y est appliquée, mais Porto Rico ne possède aucun député ou sénateur américain. Ce statut n’est pas sans créer quelques tensions, une manifestation a même eu lieue sur le site du radiotélescope en 1999, pour contester la présence américaine plus que celle du radiotélescope lui-même.
Pourquoi avoir choisi un tel lieu ? Parce que l’île est située près de l’équateur, ce qui facilite les observations des planètes du Système solaire, parce que le relief naturel fournit une cuvette idéale pour l’installation de la coupole, et que le site est protégé des interférences électromagnétiques des grandes métropoles.
Il faudra seulement trois ans de travaux pour construire ce télescope aux dimensions titanesques pour l’époque. La coupole, d’un diamètre de 305 mètres, est composée de plus de 38 000 panneaux d’aluminium, surplombés à 150 mètres de hauteur par une plate-forme de 820 tonnes comprenant divers instruments scientifiques, et soutenue par 18 câbles reliés à trois tours en béton armé. Du solide. D’ailleurs, il gardera le record du plus grand radiotélescope du monde pendant 53 ans (il sera détrôné par le radiotélescope chinois FAST) !
E.T. Téléphone maison
Si le radiotélescope d’Arecibo est aussi connu après du grand public, c’est en partie grâce au programme SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence), qui utilisait les données issues du télescope pour y rechercher la trace éventuel d’un signal issu d’une civilisation extraterrestre. Le temps d’observation consacré à ce programme était pourtant négligeable par rapport aux autres domaines d’étude d’Arecibo, mais un tel sujet d’étude est forcément plus médiatique.
Dans un article publié en 2001 dans le magazine Ciel & Espace, Daniel Altschuler, alors responsable de la communication du site, explique :
Seti crée l’événement à l’observatoire. Son équipe se charge pour ainsi dire de notre communication. Le reste du temps, c’est plutôt calme.
Bon, l’historique du radiotélescope avec les extraterrestres ne s’arrête pas au programme SETI. En 1974, il est utilisé pour envoyer le désormais célèbre message d’Arecibo dans l’espace. Il s’agit d’un court message radio destiné à une éventuelle civilisation extraterrestre, envoyé vers l’amas globulaire M13, situé à près de 22 000 années-lumière de la Terre. Le dit-message, écrit notamment par Frank Drake et Carl Sagan, a été rédigé de manière à pouvoir être aisément décrypté. En 1679 bits, il affiche des rudiments de mathématique, de physique et de biologie, puis présente l’homme et sa place dans le Système solaire. Une représentation figurée du télescope d’Arecibo conclut même le message ! Il faudra s’armer de patience avant de recevoir une éventuelle réponse : le message mettra plus de 22 000 ans pour parvenir à sa destination…
Arecibo doit également sa popularité à ses apparitions dans des œuvres culturelles populaires des années 90. Il apparaît ainsi dans le roman Contact de Carl Sagan, ainsi que dans l’adaptation cinématographique qui en a été tirée, réalisée par Robert Zemeckis (1997). Deux ans plus tôt, il apparaissait dans les films La Mutante (de Roger Donaldson) et surtout dans Goldeneye (réalisé par Martin Campbell), où il sert de lieu pour l’affrontement final entre James Bond et le grand méchant du film ! L’histoire du film présente le radiotélescope comme une gigantesque antenne chargée de contrôler des satellites de l’armée Russe…
Le radiotélescope fera également une courte apparition dans l’introduction du premier épisode de la seconde saison de X-Files, épisode qui porte le nom évocateur de « Les Petits Hommes verts » !
Au-delà du programme SETI, ce sont ces multiples apparitions qui contribueront à lui donner auprès du grand public, à tort, l’image d’un outil destiné à la recherche d’une vie extraterrestre. Sans produire d’images spectaculaires, comme par exemple le télescope spatial Hubble, Arecibo est parvenu à rentrer dans l’imaginaire collectif.
Faits d’armes
Bien qu’il n’ait pas détecté de signal de petits hommes verts, le bilan scientifique du radiotélescope est pourtant remarquable à bien des égards. En 1967, il permet de mesurer précisément la durée d’une année sur Mercure : 59 jours, au lieu de 88, comme on le croyait alors. En 1974, il permet la détection d’un pulsar binaire (un couple d’étoiles en orbite l’une autour de l’autre, et dont l’une des étoiles est un pulsar), ouvrant la voie à la détection des ondes gravitationnelles, ces courbures de l’espace-temps prédites par Einstein et dont l’existence ne sera confirmée qu’en 2015. Pour cette découverte, Russell A. Hulse et Joseph H. Taylor Jr. recevront le prix Nobel de physique en 1993. En 1981, Arecibo fournira la première carte radar de la planète Vénus. En 1992, il permettra aux scientifiques Dale Frail et Aleksander Wolszczan de découvrir les deux premières exoplanètes orbitant autour d’un pulsar (une étoile à neutrons en rotation rapide). Beaucoup plus récemment, en 2014, le vénérable radiotélescope identifie pour la première fois un sursaut rapide récurrent. Si les sursauts rapides, ces signaux radio dont on peine à expliquer l’origine, sont connus depuis 2007, en revanche leur répétition n’avait jamais été enregistrée auparavant.
Cette liste est évidemment très loin d’être exhaustive. De par son âge, de par sa localisation géographique, de par son étonnant concept, de par ses apports à la science, Arecibo était un véritable monument, une institution. De nombreux scientifiques se sont émus de sa fin annoncée. D’autant plus que malgré son impressionnante longévité, Arecibo était bien loin d’être démodé. D’abord parce qu’il a été régulièrement amélioré, notamment en 1973, 1997 et 2004. S’il ne détenait plus le record du plus grand radiotélescope du monde, il gardait en revanche des particularités qui en faisaient un outil unique, grâce notamment à son radar et aux larges bandes de fréquence qu’il était en mesure de couvrir.
En février 2019, les équipes gérantes de l’Observatoire organisaient même un atelier de trois jours intitulé « Les voies vers le futur de l’observatoire d’Arecibo », élaborant quelques suggestions de futures améliorations techniques.
Un rapport publié après l’événement précisait :
La prochaine génération de mises à niveau du télescope Arecibo est essentielle pour maintenir cette installation nationale à la pointe de la recherche en radioastronomie, tout en maintenant son leadership dans les études radar des astéroïdes, planètes et satellites géocroiseurs.
Coût, premiers problèmes
Le radiotélescope, qui avait déjà du faire face à des problèmes financiers dans les années 2000 (un rapport de la NSF s’en inquiétait en 2006), a été touché en 2017 par l’ouragan Maria. Une antenne de 29 mètres de long était alors tombée, perforant certains des panneaux ornant la surface parabolique. Un problème sérieux, mais qui n’avait pas inquiété outre mesure les équipes présentes sur place. La survie du télescope n’était pas en jeu.
Le problème qui est survenu le 10 août dernier est en revanche bien plus grave. Un des câbles utilisés pour maintenir la plate-forme métallique en suspension au-dessus de la surface parabolique est sorti de son support. Résultat, l’un des dômes suspendus a été lacéré, la plate-forme métallique a été tordue, et à nouveau, des panneaux de la surface ont été abîmés.
Comme précisé à l’époque dans un article publié sur le site Libération, les conséquences sont inquiétantes :
La surface de collecte est seulement un problème parmi d’autres. L’observatoire d’Arecibo est conçu pour pointer des positions dans le ciel à un millième de degré près. La précision de pointage repose sur l’équilibrage d’une plateforme massive, suspendue avec… des câbles.
Les financements manquent, et la National Science Foundation (NSF), qui gère le site, annonce qu’elle recherche de nouveaux investisseurs. Nul ne sait alors combien coûteront les travaux, qui les paiera, et combien de temps cela prendra…
Le destin, de toute façon, en décidera autrement, puisque le 6 novembre, un second câble lâche. Cette fois, il se rompt, en entraîne de nouveaux dégâts. A priori, la charge supplémentaire entraînée par la rupture du premier câble sur les autres câbles est responsable de ce nouvel accident.
La nouvelle tombe finalement le 20 novembre : le radiotélescope sera démantelé.
Un communiqué de presse de la NSF précise :
La décision intervient après que la NSF ait réalisé plusieurs évaluations par des sociétés d’ingénierie indépendantes, qui ont constaté que la structure du télescope était en danger de défaillance catastrophique, et que ses câbles pourraient ne plus être capables de supporter les charges pour lesquelles ils étaient conçus. De plus, plusieurs évaluations ont indiqué que toute tentative de réparation pouvait mettre les travailleurs en danger de mort. Même en cas de réparations à venir, les ingénieurs ont constaté que la structure présenterait probablement des problèmes de stabilité à long terme.
Et maintenant ?
C’est une immense perte pour la science en général, évidemment, et pour l’astrophysique en particulier. Le colosse des Caraïbes aura réussi à faire rêver la communauté scientifique et les amateurs de science-fiction. Immense, exotique, un peu abîmé par le temps, il symbolisait à merveille cette incroyable fascination qui pousse l’homme à tenter de comprendre le monde qui l’entoure.
Faut-il s’émouvoir de cette perte ? Oui. Mais les données qu’il a pu récolter à travers les décennies n’ont pas encore fini d’être étudiées. Arecibo vivra encore à travers elles, à travers toutes les découvertes qu’il a pu engendrer, et à travers toutes les vocations qu’il a pu susciter… Le Roi est mort, vive le Roi !