Dossiers – Dans la Lune http://dans-la-lune.fr Vers l'infini, et au-delà ! Sat, 07 May 2016 18:19:35 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=4.4.3 Aux origines de la vie – 2 – Panspermie : la vie tombée du ciel http://dans-la-lune.fr/2016/03/31/aux-origines-de-vie-2-panspermie-vie-tombee-ciel/ http://dans-la-lune.fr/2016/03/31/aux-origines-de-vie-2-panspermie-vie-tombee-ciel/#comments Thu, 31 Mar 2016 15:46:34 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=333 Il y a environ 4 milliards d’années, un vaisseau spatial extraterrestre, venu des tréfonds du cosmos, s’écrase sur une planète de la Voie Lactée. Malgré la violence de l’entrée dans l’atmosphère, ces êtres vivants venus d’ailleurs ont survécu. Mieux : ils ont trouvé un endroit particulièrement hospitalier et propice à leur colonisation. 4 milliards d’années […]

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Il y a environ 4 milliards d’années, un vaisseau spatial extraterrestre, venu des tréfonds du cosmos, s’écrase sur une planète de la Voie Lactée. Malgré la violence de l’entrée dans l’atmosphère, ces êtres vivants venus d’ailleurs ont survécu. Mieux : ils ont trouvé un endroit particulièrement hospitalier et propice à leur colonisation. 4 milliards d’années plus tard, cette vie extraterrestre a essaimé partout, et cette planète, la Terre, lui appartient désormais. Science-fiction ? Peut-être pas.

1 – La chimie du vivant
2 – Panspermie : la vie tombée du ciel

Existe-t-il une hypothèse scientifique plus poétique que la panspermie, lorsqu’il s’agit d’expliquer l’origine de la vie ? Les minuscules graines de la vie, voyageant à travers l’espace, pour finir par s’échouer sur Terre, y trouvant enfin un lieu accueillant et propice à leur développement. Douce ironie : nous, les humains, braquons en vain nos télescopes vers le ciel, en quête du signal d’une civilisation extraterrestre… Alors que ce sont nous, les extraterrestres !

Les prémisses de cette hypothèse remontent à l’antiquité, lorsque Anaxagore, philosophe pré-socratique (avant Socrate, souvent considéré comme un jalon absolu de la philosophie antique), soutient au Vème siècle avant Jésus-Christ que les spermata, les plus petites particules du cosmos, présentes partout et toujours, ont fécondé la Terre en tombant avec la pluie. Anaxagore en conclut que la vie, issue de ce procédé, doit exister partout ailleurs dans le cosmos. Si Aristote reprendra en partie l’idée de la nature fécondatrice (il expliquait notamment que lors d’un accouplement entre deux animaux, le sexe du petit variait selon la direction du vent), il était pourtant partisan de l’hypothèse de la génération spontanée qui perdurera jusqu’au XIXème siècle. Rappelons-le, la génération spontanée explique que la vie apparaît de nulle part, à partir de la matière organique.

Il faudra donc attendre le XIXème siècle pour voir réapparaître l’idée que la vie pourrait venir du ciel. En 1881, le physicien britannique Lord Kelvin, tient pour probable l’idée que des pierres météoritiques aient pu semer la vie sur Terre. Il explique sa pensée auprès de la British Science Association :

Donc, et comme nous croyons tous secrètement qu’il y a eu à ce jour, et ce depuis la nuit des temps, plusieurs mondes habités en plus du nôtre, nous devons considérer probable au plus haut degré qu’il existe un nombre incalculable de météorites portant des graines qui se déplacent à travers l’espace. Si à ce jour aucune vie n’existait sur Terre et qu’une de ces dites pierre tombait dessus, alors la Terre pourrait bientôt être couverte de végétation.

Ce type est aussi précurseur dans l'étude de l'effet de serre.

Ce type est aussi précurseur dans l’étude de l’effet de serre.

En 1903, le chimiste suédois Svante Arrhenius, reprend cette idée dans un livre appelé Worlds in a making. Il rappelle la capacité des bactéries à pouvoir survivre dans des environnements extrêmes, et suppose que dans de rares cas, des particules pourraient être éjectées d’une planète habitée et atteindre un autre système solaire, grâce à la pression du champ de rayonnement du soleil et des autres étoiles.

Ces idées novatrices ont provoqué à l’époque de féroces oppositions, à un tel point que l’hypothèse tomba en désuétude et qu’il fallut attendre le milieu des années 70 pour entendre à nouveau parler de la panspermie dans les milieux scientifiques.

Ce n’est pas sale

PanspermiaLithopanspermie, radiopanspermie, panspermie directe… Les idées ne manquent pas quand il s’agit d’expliquer comment la vie est tombée du ciel. Par la chute d’un astéroïde, grâce à la visite d’une civilisation extraterrestre… Mais le modèle le plus communément admis est le suivant : la semence qui a fécondé la Terre est issue de micro-organismes arrachés d’une planète suite à l’impact d’un astéroïde ou d’une comète.

La principale objection opposée à la panspermie est la suivante : l’espace est un endroit particulièrement inhospitalier. Les températures y sont glaciales, le vide y est presque parfait, des étoiles chaudes et massives engendrent des rayonnements ultraviolets extrêmement nocifs, et des particules énergétiques dangereuses sont libérées par des supernova. Du point de vue terrestre, le ciel est cette toile magnifique qui s’offre à nos yeux depuis l’aube de l’humanité, nourrissant de sa peinture céleste nos mythes et cosmogonies. Ne la percez pas pour passer derrière : cette toile est mortelle. C’est cet argument qui pendant longtemps a empêché la panspermie d’être considérée comme plausible dans les milieux scientifiques. Si des organismes ont été envoyés dans l’espace, ce qui est possible, ceux-ci ont été tués là-haut. Seuls des cadavres ont pu pleuvoir sur la planète à destination, et les cadavres, a priori, ne créent pas la vie.

Heureusement, plusieurs hypothèses infirment cet argument de l’espace génocidaire :

  • Certaines bactéries peuvent peut-être survivre dans un tel milieu
  • Ce milieu n’est peut-être pas si hostile
  • De la mort peut jaillir la vie (Amen)

La vie, partout

Le Mesenchytraeus est un ver qui vit à l'intérieur des glaciers... Il fond s'il se retrouve face à une température supérieure à 5°C !

Le Mesenchytraeus est un ver qui vit à l’intérieur des glaciers… Il fond s’il se retrouve face à une température supérieure à 5°C !

La Terre est à ce jour et dans la limite de nos connaissances le seul exemple de planète avec de la vie. Et si parfois les humains s’étonnent que les mondes qui les entourent semblent vides, désolés et inanimés, en revanche tout porte à croire que la vie sur Terre est particulièrement tenace et capable d’adaptation. La vie foisonne, partout. Et même dans des conditions extrêmes :

  • au milieu des enfers, là où la température approche ou dépasse les 100°C
  • au plus profond des abysses, jusqu’à 10 000 mètres au-dessous du niveau de la mer, là où la pression est extrême
  • sous les glaces des pôles, dans un froid intense

A tort, les hommes ont considéré certains territoires comme stériles. Dans les cheminées de ces profondeurs de l’Océan Pacifique ? Des bactéries, la vie. Dans des sédiments datés de plusieurs millions d’années, sans aucune source de nourriture ? Des bactéries, la vie. Très profondément, sous la surface terrestre, dans un environnement dénué d’accès à l’oxygène ? Des vers, la vie.

L'archeobactérie Pyrolobus fumarii peut survivre jusqu'à plus de 100°C, près de ce type de cheminées hydrothermales.

L’archeobactérie Pyrolobus fumarii peut survivre jusqu’à plus de 100°C, près de ce type de cheminées hydrothermales.

Une biodiversité encore inconnue existe, là-dessous, et prolifère depuis des millions d’années. Rien ne semble l’affecter, et surtout pas l’homme, à qui elle survivra certainement. A l’abri du temps, à l’abri des hommes.

Ces organismes sont appelés « extrêmophiles ». Et ce sont d’excellents candidats à un voyage dans l’espace.

L’odyssée de l’espace

 Nous avons déjà expliqué plus haut combien l’espace est un milieu inhospitalier. Dans quelles mesures ces conditions pourraient-elles être rendues plus favorables à la survie d’une forme de vie ?

Dans son Dictionnaire amoureux du ciel et des étoiles, l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan imagine le voyage de bactéries à l’intérieur d’un nuage interstellaire, à l’abri de la majorité des rayonnements nocifs susceptibles de les tuer. Il rappelle que notre Système Solaire traverse l’un de ces nuages tous les quelques dizaines de millions d’années. Des bactéries peuvent être happées à cet instant, et voyager jusqu’à une autre étoile, à l’issue d’un voyage de plusieurs millions d’années. Problème : l’intense rayonnement des étoiles les tuera certainement avant qu’elles ne parviennent jusqu’à leur planète de destination.

Il émet alors une autre hypothèse :

Et si ce bouclier n’était pas fait de gaz d’hydrogène [comme les nuages interstellaires] mais de roc solide ?

Les météorites sont régulièrement citées comme étant des véhicules idéaux pour l’échange de matériel organique entre étoiles. La Terre est sans cesse bombardée par de la roche venue du Ciel, riche de matériel extraterrestre. Des acides aminés, molécules entrant dans la composition des protéines, briques essentielles du vivant, ont en effet été découverts sur plusieurs météorites.

En 1996, un article fortement médiatisé et hautement polémique annonça même la découverte de structures ressemblant à des bactéries fossilisées sur la météorite ALH 84001, d'origine martienne... Bill Clinton fit même une déclaration à ce sujet.

En 1996, un article fortement médiatisé et hautement polémique annonça même la découverte de structures ressemblant à des bactéries fossilisées sur la météorite ALH 84001, d’origine martienne… Bill Clinton fit même une déclaration à ce sujet.

Les comètes contiennent elles aussi de la matière organique. A ce titre, la récente mission Rosetta a fait dire au chercheur Max Wallis, de l’Université de Cardiff, que :

La comète ne devait pas être considérée comme un corps très froid et inactif mais qu’elle était le siège de phénomènes géologiques et pourrait se révéler plus hospitalière aux micro-organismes que l’Arctique et l’Antarctique.

Dans un article écrit avec Chandra Wickramasinghe (pionnier de l’exobiologie et fervent défenseur de la panspermie), Wallis va même jusqu’à émettre l’hypothèse que des bactéries vivraient dans les eaux salines sous la surface de Tchouri !

La mort est le début de la vie

Autre solution pour pallier au problème de la survie de micro-organismes à un voyage interstellaire : imaginer leur retour à la vie, une fois parvenus à destination.

Une faculté propre à Jésus ? Du tout. En 1995, une équipe de chercheurs américains a annoncé être parvenue à faire revivre des spores de bactéries de type Bacillus trouvées à l’intérieur d’un miel datant de 25 millions d’années et conservé dans de l’ambre !

Trop mignon !

Trop mignon !

Il faut également évoquer les tardigrades, ces petits êtres si fascinants. Les tardigrades sont des extrêmophiles qui ressemblent à des oursons nageurs d’un millimètre, sont capable de résister à l’eau bouillante, à la déshydratation, au vide spatial, et peuvent même revenir à la vie après avoir été congelés durant plusieurs décennies ! Des capacités de survie extraordinaires qui poussent certains chercheur à voir en eux de bons candidats à un voyage à travers les étoiles…

Encore plus fort : la necropanspermie. Miam.Imaginée par Paul Wesson de l’Institut d’astrophysique Herzberg  (Canada), elle prévoit que les restes fossilisés de vie bactérienne, échouées sur une planète hospitalière, puissent contenir les informations génétiques nécessaires à l’apparition et au développement de la vie.

La panspermie est une hypothèse intéressante. Finalement, elle ne fait que repousser le problème de l’origine de la vie. Certes, il est possible qu’elle vienne du ciel. Mais alors comment est-elle apparue là-haut ?

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Aux origines de la vie – 1 – La chimie du vivant http://dans-la-lune.fr/2016/03/10/aux-origines-de-vie-1-chimie-vivant/ http://dans-la-lune.fr/2016/03/10/aux-origines-de-vie-1-chimie-vivant/#comments Thu, 10 Mar 2016 17:01:22 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=315 Par quelle sorte de processus chimique l’inerte est-il devenu vivant ? Comment est apparue la toute première cellule ? De quelles molécules était-elle issue ? Comment a-t-elle acquis la capacité de croître, de se répliquer ? S’agit-il d’un mélange particulier entre de la matière organique et de l’eau ? Faut-il des conditions particulières ? Quel curieux […]

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Par quelle sorte de processus chimique l’inerte est-il devenu vivant ? Comment est apparue la toute première cellule ? De quelles molécules était-elle issue ? Comment a-t-elle acquis la capacité de croître, de se répliquer ? S’agit-il d’un mélange particulier entre de la matière organique et de l’eau ? Faut-il des conditions particulières ? Quel curieux mystère ! En effet, de cette vie primitive, de cette première chose vivante, est issue l’intégralité de toutes les espèces ayant vécues, vivantes et qui vivront sur notre planète, y compris l’homme, qui, par un processus encore inconnu à ce jour, est parvenu à la conscience, lui permettant de se questionner sur ses origines, comme nous le faisons ici.

1 – La chimie du vivant
2 – Panspermie : la vie tombée du ciel

Il était une fois la vie

Mais d’abord, la vie, c’est quoi ? Vaste question qui mériterait un dossier. Voici la définition du Larousse :

Caractère propre aux êtres possédant des structures complexes […] capables de résister aux diverses causes de changement, aptes à renouveler, par assimilation, leurs éléments constitutifs (atomes, petites molécules), à croître et à se reproduire.

Voilà qui est plutôt limpide. Mais qui n’indique en rien l’origine du vivant.

Tout au long de l’histoire, les hypothèses n’ont pourtant pas manquées :

  • Les différentes cosmogonies et religions humaines ont principalement soutenu l’idée d’un ou plusieurs Dieux créateurs de la vie. Point de vue encore soutenu aujourd’hui par les créationnistes et d’une certaine manière par les partisans du « dessein intelligent »
  • Depuis Aristote et jusqu’au XVIIIème siècle, l’hypothèse de la génération spontanée connut d’ardents défenseurs, . Elle expliquait que la vie naît de manière spontanée et quasiment immédiatement à partir de la matière inanimée.
  • Dès la fin du XIXème siècle, l’hypothèse que la vie ait pu être amenée sur Terre depuis le cosmos par des microorganismes vivants sur des météorites est évoquée : c’est la panspermie, et nous y reviendrons.
Ce sont les expériences de Pasteur qui, dans la seconde moitié du XIXème siècle, mettront un terme à l'idée de la génération spontanée du vivant.

Ce sont les expériences de Pasteur qui, dans la seconde moitié du XIXème siècle, mettront un terme à l’idée de la génération spontanée du vivant.

Concrètement, soyons honnêtes, aujourd’hui nous ne savons ni :

  1. comment la vie est apparue sur Terre
  2. si elle existe ailleurs dans l’Univers

L’exobiologie, domaine en pleine expansion depuis la découverte des premières exoplanètes (les planètes qui tournent autour d’une autre étoile que notre Soleil) au milieu des années 90, a justement pour objet d’étude l’apparition et la diffusion de la vie dans l’Univers, sur Terre comme ailleurs. Ces deux questions sont en fait intimement liées. En effet, le jour où nous saurons comment la vie est apparue sur Terre, nous saurons quels sont les endroits les plus favorables pour la chercher ailleurs.

Pour le moment, nous n’avons qu’un seul laboratoire au sein duquel la vie est apparue : celui dont nous sommes issus et dont l’origine remonte à environ 4 milliards d’années, la Terre. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les exobiologistes recherchent la vie sur les astres célestes où les conditions sont proches de celles de la Terre. A terme, lorsque nos connaissances seront plus affinées, rien n’est exclu : certains chercheurs à contre-courant n’hésitent ainsi pas à imaginer une vie basée sur le silicium et non sur le carbone.

Tree of Life

Ne devrait-on pas ériger une statue en l’honneur de la cellule commune dont nous descendons tous ? Celle qui est parvenue à la vie, qui s’est retrouvée absolument seule sur la Terre, dans cet environnement encore hostile, et qui malgré l’adversité a pu se répliquer, essaimer ? Evidemment, la réalité est plus complexe, et cette cellule n’est pas apparue ex-nihilo, à partir de rien, comme le supposait l’hypothèse de la génération spontanée.

2,3 millions d'espèces vivantes sont répertoriées sur ce cercle, depuis la toute première cellule, au centre, il y a 3,5 milliards d'années, dont nous descendons tous...

2,3 millions d’espèces vivantes sont répertoriées sur ce cercle, depuis la toute première cellule, au centre, il y a 3,5 milliards d’années, dont nous descendons tous…

Il existe plusieurs racines élémentaires sur lesquelles l’arbre du vivant est apparu puis a grandi. C’est plutôt simple, les voici :

  • Les lipides, constituant la membrane des cellules
  • Les sucres complexes, source d’énergie des cellules
  • Les protéines, pour favoriser certaines réactions chimiques
  • L’ADN (acide désoxyribonucléique), pour stocker l’information génétique, c’est-à-dire toutes les particularités qui fondent une espèce ; et l’ARN (acide ribonucléique), qui traduit les informations de l’ADN et bâtit à partir d’elles.

Voilà. Ce sont les constituants de base de la cellule, la plus petite unité biologique capable de se reproduire. Vous, moi, les ornithorynques, les arbres… En somme tout ce qui est vivant sur cette planète est composé de ces éléments, briques élémentaires du mur de la vie. Et puis il faut un environnement pour se développer : ce sera l’eau. Pas de vie sans eau. D’ailleurs toutes les formes de vie se composent d’environ 80 % d’eau.

Nous ne sommes guère plus avancés. Nous avons décomposé la structure d’une cellule, voilà tout. Et bien reculons encore un peu plus loin… D’où viennent ces quatre éléments fondamentaux ?

  • Les lipides de la membrane se composent d’acides gras
  • Toutes les protéines des êtres vivants se composent à partir de la combinaison de vingt acides aminés, des petites molécules organiques comprenant une fonction acide et une fonction amine, d’où leur nom !
  • L’ADN et l’ARN sont formés à partir de nucléotides, des molécules organiques
ADN, support biologique fascinant de l'information. 700 téraoctets : c'est le volume de données qui seraient stocké dans 1 gramme d'ADN...

ADN, support biologique fascinant de l’information. 700 téraoctets : c’est le volume de données qui serait stocké dans 1 gramme d’ADN…

Et nous voilà donc avec, d’un côté, un plat complet : la cellule ; et de l’autre, cette série d’ingrédients indispensables à la vie telle que nous la connaissons sur Terre. La recette demeure toutefois inconnue, de même que le cuisinier. Par facilité, je pourrais invoquer ici Dieu, chef de haute volée qui ne révèle évidemment pas ses meilleures recettes, en tout cas pas dans la Genèse où les premiers êtres vivants sont des plantes :

Puis Dieu dit : Que la terre produise de la verdure, de l’herbe portant de la semence, des arbres fruitiers donnant du fruit selon leur espèce et ayant en eux leur semence sur la terre. Et cela fut ainsi. La terre produisit de la verdure, de l’herbe portant de la semence selon son espèce, et des arbres donnant du fruit et ayant en eux leur semence selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le troisième jour.

Si la communauté scientifique n’est pour l’instant pas parvenue à fournir de réponse définitive à cette question passionnante, cela ne l’empêche pas de fournir de nombreuses hypothèses. Aujourd’hui, pour rester sur nos métaphores cuisinières, nous allons parler de soupe.

Mange ta soupe, ça fait grandir

Quelque petite mare chaude, en présence de toutes sortes de sels d’ammoniac et d’acide phosphorique, de lumière, de chaleur, d’électricité, etc. […] un composé de protéine fut chimiquement formé, prêt à subir des changements encore plus complexes.

Stanley Miller (1930 - 2007)

Stanley Miller (1930 – 2007)

Voilà comment Darwin imaginait dans une lettre de 1871. Retravaillée et complétée, cette hypothèse dite de la « soupe primitive » est peut-être celle qui est la plus populaire parmi la communauté scientifique. Elle fut notamment défendue par le biologiste américain Stanley Miller qui, en 1953, mit au point une expérience particulièrement étonnante avec son collègue Harold Urey.

L’objectif ? Rien de moins que de recréer en laboratoire les conditions chimiques primitives présentes sur Terre avant l’apparition de la vie, soit il y a environ 4 milliards d’années. Voici donc les ingrédients utilisés dans sa recette :

  • Un mélange de plusieurs gaz (méthane, ammoniac, hydrogène), présents sur notre Terre primitive
  • De l’eau chauffée, l’océan
  • De l’électricité, pour simuler des éclairs

Des conditions finalement assez proches de celles décrites un siècle plus tôt par Darwin. Après une semaine d’expérience, le temps était venu pour Miller et Urey d’analyser cette étrange soupe primordiale. Que remarquèrent-ils alors ? Rien de mois que la présence de onze acides aminés, ainsi que du sucre, des lipides, et des composants des acides nucléiques ! Oui, les briques essentielles de la vie, recrées dans les petites fioles d’un laboratoire…

Toujours controversées aujourd’hui, l’expérience de Miller a été répétée de nombreuses fois, avec des variantes différentes, donnant des résultats plus ou moins prometteurs. L’idée de pouvoir recréer une atmosphère en laboratoire est dans tous les cas extrêmement intéressant pour les exobiologistes. En effet, il sera très bientôt possible, grâce notamment au télescope spatial James Webb (successeur d’Hubble), d’analyser l’atmosphère des exoplanètes, et donc pourquoi pas de la recréer en laboratoire, pour deviner, à plusieurs années-lumière de distance, quels mystères s’y cachent…

Dans le segment "L'éprouvette de la genèse" d'un épisode des Simpsons, Lisa crée une civilisation miniature en plongeant l'une de ses dents de lait dans du soda, qu'elle soumet ensuite à une décharge électrique...

Dans le segment « L’éprouvette de la genèse » d’un épisode des Simpsons, Lisa crée une civilisation miniature en plongeant l’une de ses dents de lait dans du soda, qu’elle soumet ensuite à une décharge électrique…

Avec Miller, la quête de nos origines perd un peu de magie : la vie, finalement, ne serait rien d’autre qu’un ensemble de processus physiques et chimiques qui se produisent dès lors que les conditions sont suffisamment favorables.

Donc le grand jeu de la vie se serait entièrement déroulé sur Terre, aucun événement extérieur n’étant venu le favoriser. Une autre hypothèse, que je trouve personnellement infiniment plus fascinante et poétique, invoque au contraire une action venue du ciel. Evidemment, des objets célestes peuvent perturber la vie (nos regrettés dinosaures l’ont constaté…), peuvent-ils aussi la favoriser, voire l’apporter sur Terre ?

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L’atomisme antique – 2 – De la nature des choses http://dans-la-lune.fr/2015/12/15/latomisme-antique-2-de-la-nature-des-choses/ http://dans-la-lune.fr/2015/12/15/latomisme-antique-2-de-la-nature-des-choses/#comments Tue, 15 Dec 2015 19:50:20 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=155 L’atome, ah, l’atome ! Ce dossier en deux parties vous présente la vision antique de l’atome, cette particule dont nous sommes tous faits, et dont la science ne démontrera l’existence expérimentalement que 2000 ans plus tard… 1 – Survivre au temps 2 – De la nature des choses Et finalement, ce De Natura Rerum, il […]

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L’atome, ah, l’atome ! Ce dossier en deux parties vous présente la vision antique de l’atome, cette particule dont nous sommes tous faits, et dont la science ne démontrera l’existence expérimentalement que 2000 ans plus tard…

1 – Survivre au temps
2 – De la nature des choses

Et finalement, ce De Natura Rerum, il contient quoi ? A peu près tout ce qu’il faut savoir sur l’atomisme, et plus encore, c’est donc une chance qu’il ait survécu. Lire Lucrèce, c’est lire Leucippe, Démocrite et Epicure. Nous n’avons pas évoqué Epicure dans la première partie de ce dossier consacré aux prémices de l’atomisme : sa conception du monde est plus ou moins celle de Démocrite (chez Epicure, la visée est toutefois plus éthique que scientifique).

Quelque grandes figures de l'atomisme grec, ou comment se transmet le savoir, de maître à disciple. Il serait possible de poursuivre après Epicure, pour arriver, quelques siècles plus tard, jusqu'à Lucrèce.

Quelque grandes figures de l’atomisme grec, ou comment se transmet le savoir, de maître à disciple. Il serait possible de poursuivre après Epicure, pour arriver, quelques siècles plus tard, jusqu’à Lucrèce.

Lucrèce, donc. De sa vie n’ont survécu que quelques bribes d’informations. En voici un échantillon :

  • il est né entre 93 et 96 de notre ère
  • il est mort entre 50 et 54
  • l’ingestion d’un philtre d’amour l’aurait rendu fou
  • il écrivit quelques livres puis mit fin à ses jours
  • Cicéron corrigea ses œuvres et les diffusa

Ces éléments ont donné lieu à d’interminables discussions, débats, polémiques, dont on peut conclure ceci : on ne sait quasiment rien de Lucrèce, et le peu que l’on sait est sujet à caution.

Concrètement, De Natura Rerum est à la fois un poème et un traité scientifique. Il utilise la forme de la poésie, son imagerie et sa beauté, pour expliquer des phénomènes naturels. En ce sens, contrairement à certains de ses prédécesseurs (et surtout Epicure, dont les écrits étaient déjà considérés comme ardus à l’époque), il privilégie la beauté et la clarté de la forme, à la technicité et la complexité du fond.

Sur un sujet obscur, je compose des vers si lumineux, imprégnant tout de charme poétique.[i]

Après tout, pourquoi faut-il distinguer création artistique et recherche scientifique ? Les deux procèdent d’une intuition similaire, d’une idée créatrice originale issue de l’imagination de l’homme. Les deux recherchent une certaine esthétique (c’est surtout  vrai en physique).

Même quand ta tête est découpée et posée sur un vase tu transpires la classe, Lucrèce.

Même quand ta tête est découpée et posée sur un vase tu transpires la classe, Lucrèce.

Mais une autre raison pousse Lucrèce à choisir la forme poétique, et elle est didactique. De même que le médecin, pour faire avaler à un enfant une potion au goût désagréable, peut enduire le bord d’une coupe d’un peu de miel, Lucrèce expose son remède avec des atours plus favorables. Grâce à ses vers, il espère captiver son lecteur et lui faire avaler sa potion qui peut sans cela paraître déroutante ou difficile d’accès.

Et effectivement, l’objectif de Lucrèce est atteint : de son magnifique poème se dégage une impression de calme, de respect devant les beautés de la nature, de sérénité face aux Dieux inutiles ou bien face à la mort. Nous reviendrons brièvement plus bas sur les conséquences éthiques de la conception physique du monde de Lucrèce et des atomistes.

De Natura Rerum se compose de 7400 vers, qui forment six livres ou chants :

  • le premier définit les atomes dont le monde est composé
  • le second précise leur nature
  • le troisième affirme que le corps et l’âme sont aussi faits d’atomes
  • le quatrième qu’il en est de même de la pensée
  • le cinquième parle de notre monde et de son histoire
  • le sixième et dernier explique les causes de plusieurs phénomènes naturels

Pour prouver l’existence des atomes, Lucrèce commence par énumérer certains corps invisibles et dont pourtant l’existence ne peut être niée. Ainsi du vent qui fait se ployer les arbres. Ainsi des odeurs qui réjouissent nos narines. Ainsi de l’eau qui s’évapore d’un linge tendu au soleil. Qu’une chose ne soit pas visible par l’homme ne veut pas dire qu’elle n’existe pas.

La nature accomplit son œuvre avec des corps aveugle.[ii]

Et où passe le fer de la charrue qui est rongée progressivement par le temps ? Et le marbre de la statue abîmée par la pluie ? C’est qu’ils ne sont composés que de minuscules atomes, agglomérés les uns aux autres. Ceux-ci se déplacent, formant et déformant ainsi toutes les choses dont l’Univers est fait. Ils sont les éléments essentiels de la matière, et ne peuvent être divisés.

La matière assurément n’est pas un bloc compact
puisque nous voyons les choses diminuer chacune,
s’écouler pour ainsi dire à longueur de temps
et dérober leur vieillesse à nos regards
pour qui l’ensemble n’en demeure pas intact.[iii]

Et puisque ces corps, ces atomes, se meuvent, c’est donc bien que le vide existe lui aussi. Et rien, absolument rien d’autre, n’existe que ces atomes et ce vide. Et ce vide qui contient les atomes est infini. L’Univers est infini. Lucrèce imagine un lanceur de javelot, posté à l’extrémité d’un Univers borné. Où ira se loger son javelot, une fois lancé ? Vers une nouvelle extrémité, qui sera le point de départ d’un nouveau lancer de javelot, qui rejoindra une nouvelle extrémité, et ainsi de suite à tout jamais…

Ce sportif à l'allure élancée envoie son trait jusqu'au bout de l'Univers, au point A. Que se passe-t-il s'il se poste ensuite au point A pour y lancer à nouveau son javelot ? Celui-ci atteindra forcément un point B, nouveau bout de l'Univers, et ainsi de suite...

Ce sportif à l’allure élancée envoie son trait jusqu’au bout de l’Univers, au point A. Que se passe-t-il s’il se poste ensuite au point A pour y lancer à nouveau son javelot ? Celui-ci atteindra forcément un point B, nouveau bout de l’Univers, et ainsi de suite…

Poussé par une intuition de génie, Lucrèce explique tout : les mouvements des atomes, leur vitesse dans le vide, leur poids, leur variété, leur absence de toute couleur, odeur ou chaleur ; et les conséquences que cette physique implique.

Puisque l’Univers est infini et que les atomes sont présents partout, alors il est absurde de penser que la Terre est unique. En réalité, les atomes se sont assemblés, ailleurs, de manière différente, et tout laisse à penser qu’une infinité d’autres mondes existent.

Il faut admettre qu’il existe ailleurs d’autres terres,
diverses races d’hommes et de bêtes sauvages.[iv]

Cette question est celle de la pluralité des mondes, déjà débattue dans l'Antiquité, et qui suscitera des controverses a Moyen Âge (il n'y a qu'un seul monde, créé par Dieu). L'excellent Giordano Bruno, très rock'n'roll, finit sur le bûcher pour cette raison.

Cette question est celle de la pluralité des mondes, déjà débattue dans l’Antiquité, et qui suscitera des controverses a Moyen Âge (il n’y a qu’un seul monde, créé par Dieu). L’excellent Giordano Bruno, très rock’n’roll, finit sur le bûcher pour cette raison.

Où cette nouvelle connaissance place-t-elle les Dieux ? Si Lucrèce ne remet pas en doute leur existence même, en revanche il minimise leur action, puisqu’il est évident que des Dieux au nombre limité ne peuvent régner à la fois sur la Terre et sur d’autres mondes de l’Univers. Et puis, évidemment, ils ne sont eux aussi faits que d’atomes. Il faut donc bien se garder de les craindre : leur action sur les hommes est limitée.

La connaissance ultime de la nature des choses est révélée, et les Dieux en font partie comme n’importe quelle autre chose de la nature.

A ce spectacle une sorte de volupté divine,
un frisson m’envahit, tant la nature est visible,
par ton génie enfin tout entière dévoilée.[v]

C’est par ce frisson que la science peut aider l’homme à trouver le bonheur. Dans le monde en crise de Lucrèce, dans cette Rome violente, en proie aux guerres, la raison et la connaissance permettent d’éloigner les peurs, qu’elles soient imaginaires (les Dieux) ou bien réelles (la mort, la faim, la soif). La nature est simple (atomes, et vide) ; le bonheur, lui, est simple d’accès. Lucrèce rappelle ainsi la tradition épicurienne qui, loin des clichés véhiculés aujourd’hui, disait qu’il faut savoir se satisfaire de peu de choses. D’où ces sublimes vers au début du livre II :

Il est parfois plus agréable, et la nature est satisfaite,
si l’on ne possède statues dorées d’éphèbes,
tenant en main droite des flambeaux allumés
pour fournir leur lumière aux nocturnes festins,
ni maison brillant d’or et reluisant d’argent,
ni cithares résonnant sous des lambris dorés,
de pouvoir entre amis, couchés dans l’herbe tendre,
auprès d’une rivière, sous les branches d’un grand arbre,
choyer allègrement son corps à peu de frais,
surtout quand le temps sourit et que la saison,
parsème de mille fleurs les prairies verdissantes.[vi]

L’atomisme suscita de violentes controverses, tout au long de son histoire. Aristote s’y opposait. Platon souhaitait même brûler les ouvrages de Démocrite. De Rerum Natura fut interdit par l’église catholique en 1516, quelques années après sa redécouverte. Et rappelons les paroles d’Ernst Mach, grand physicien autrichien, qui déclara en 1897 :

Je ne crois pas que les atomes existent

En 1905, Einstein fournit une preuve théorique de l’existence de l’atome, qui fut confirmée expérimentalement par Jean Perrin sept ans plus tard. L’atome a gagné. Seulement l’atome moderne n’est pas une particule élémentaire, n’est pas l’atome de Lucrèce et Démocrite : il peut en effet être divisé (il est constitué d’électrons, de protons et de neutrons).

De l'atome au quark. Schéma non à l'échelle et non exhaustif. La quête de l'infiniment petit est passionnante !

De l’atome au quark. Schéma non à l’échelle et non exhaustif. La quête de l’infiniment petit est passionnante !

C’est alors un autre voyage vers l’infiniment petit qui commence. Un voyage encore incertain, fait de cordes ou de boucles. L’intuition des atomistes antiques  est avérée : notre réalité est constituée de corps indivisibles. Que sont-ils ? Personne n’est encore en mesure de le dire.


[i] Lucrèce, De Natura Rerum, I, 933 – 934
[ii] Ibid. I, 328. Lucrèce utilise en effet le mot de « corps » plutôt que celui d' »atome » comme Démocrite ou Epicure.
[iii] Ibid. II, 67-70
[iv] Ibid. II, 1074-1076
[v] Ibid. III, 28-30
[vi] Ibid. II, 23-33

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L’atomisme antique – 1 – Survivre au temps http://dans-la-lune.fr/2015/12/03/latomisme-antique-1-survivre-au-temps/ http://dans-la-lune.fr/2015/12/03/latomisme-antique-1-survivre-au-temps/#comments Thu, 03 Dec 2015 20:46:00 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=106 L’atome, ah, l’atome ! Ce dossier en deux parties vous présente la vision antique de l’atome, cette particule dont nous sommes tous faits, et dont la science ne démontrera l’existence expérimentalement que 2000 ans plus tard… 1 – Survivre au temps 2 – De la nature des choses Nous ne nous rendons pas compte de […]

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L’atome, ah, l’atome ! Ce dossier en deux parties vous présente la vision antique de l’atome, cette particule dont nous sommes tous faits, et dont la science ne démontrera l’existence expérimentalement que 2000 ans plus tard…

1 – Survivre au temps
2 – De la nature des choses

Nous ne nous rendons pas compte de notre chance. Poser les yeux sur le livre de Lucrèce, De Natura Rerum c’est déjà un miracle. Non pas que se rendre chez un libraire et se libérer de quelques pièces soit une tâche particulièrement ardue, non. Simplement, qu’il soit parvenu jusqu’à nous, jusqu’à notre époque, vestige d’un monde disparu, témoignage d’un savoir perdu, est une chance immense.

Il faudrait que quelqu’un écrive un roman dont le personnage principal serait un poème, De Natura Rerum. L’histoire serait celle d’une survie à travers le temps et à travers l’espace, depuis la plume d’un génie au Ier siècle avant Jésus-Christ jusqu’aux yeux d’un lecteur en 2015.

Le savoir que l’homme acquiert n’est pas figé à tout jamais. Comme un fleuve, il peut gonfler, creuser les terres infertiles, faire se mouvoir le monde. Et puis il peut se tarir. A l’aube du premier millénaire, le savoir de l’homme, accumulé depuis des siècles et des siècles, subit sa plus grave blessure à ce jour. A peu près 99,99% de la littérature de l’époque disparaît. Les raisons sont diverses, multiples, et encore sources de débats aujourd’hui.

De certains auteurs, il ne nous reste plus qu’une phrase, qu’un mot, qu’une anecdote, voire qu’un simple nom. Tant d’autres ont tout simplement disparu, irrémédiablement voués à l’oubli éternel. Combien de tragédies oubliées ? Combien de traités philosophiques brûlés ? Combien d’essais historiques perdus ? Combien de poèmes partis en poussière ? Les chefs d’œuvres qui nous sont parvenus laissent augurer de merveilles encore plus glorieuses, et pourtant à jamais inaccessibles…

Un espoir, toutefois : dans une villa d’Herculanum (ville ensevelie par une éruption du Vésuve en 79), des papyrus carbonisés, très fragiles, ont été découverts sous les cendres. Les dérouler est périlleux et hasardeux, mais des études actuelles au rayon X donnent des résultats prometteurs...

Un espoir, toutefois : dans une villa d’Herculanum (cité ensevelie par une éruption du Vésuve en 79), des papyrus carbonisés, très fragiles, ont été découverts sous les cendres. Les dérouler est périlleux et hasardeux, mais des études actuelles au rayon X donnent des résultats prometteurs…

De ces mondes que nous ne connaissons que par l’archéologie et les lettres, de ces mondes, en vérité, nous ne savons rien.

Heureusement, certains ouvrages ont survécu.

Au IXème siècle de notre ère, un moine copia le poème de Lucrèce, De Natura Rerum. Peut-être le fit-il car il sut reconnaître le génie de cette œuvre oubliée au Moyen-âge, peut-être parce qu’on le lui ordonna, personne ne le sait et ne le saura jamais. Peut-être considéra-t-il sa tâche comme sacrée en voyant le rouleau qu’il copiait se désagréger peu à peu. L’histoire, fort injuste, ne retint pas le nom de ce moine. On ne sait rien de lui à part qu’il copia Lucrèce, saluons-le déjà pour ça. Cette copie fut classée, et tomba à nouveau dans l’oubli.

Cinq siècles passèrent. Plus personne ou presque ne connaissait alors le nom de Lucrèce [i]. L’Antiquité ne rayonnait plus. Ou : ne rayonnait pas encore.

Certes Le Pogge n'a pas un physique facile, il faut saluer son génie malgré tout.

Certes Le Pogge n’a pas un physique facile, il faut saluer son génie malgré tout.

Perché sur sa mule, perdu dans les campagnes allemandes, un homme avide de savoir s’approche du monastère de Fulda, l’un des plus anciens au monde. Cet homme s’appelle Gian Francesco Poggio Bracciolini, dit Le Pogge. Avec quelques amis, il se plaît à redécouvrir les sagesses antiques. Il parcourt l’Europe à cette fin. Combien de trésors oubliés recèlent les bibliothèques poussiéreuses ! Ce jour-là, au fond du monastère, il fait ressurgir le précieux travail du moine en mettant la main sur le De Natura Rerum. Il tente de le faire sortir du monastère : cela lui est refusé. Il demande donc qu’une copie soit faite sur place, conscient du trésor qu’il vient de dénicher. Cette copie sera perdue à nouveau, mais heureusement copié par un ami de Poggio, Niccola Niccoli. Chaque livre sauvé de l’Antiquité est une aventure [ii].

Des multiples provocations du philosophe grec Diogène de Sinope, fondateur de l’école Cynique, l’une des plus fameuses concerne son apologie du cannibalisme. Si personne ne semble l’avoir jamais vu se sustenter avec de la chair humaine, il est vrai que cette idée n’entrait pas en contradiction avec le retour à la nature tant vanté par le philosophe. Mais cela illustre également une autre de ses idées.

Si on écoute la droite raison, disait-il, tout est à la fois dans tout et partout ; de fait, dans le pain il y a de la viande et dans le légume il y a du pain, les autres corps étant en toutes choses du fait que leurs masses s’interpénètrent par des pores invisibles et se réunissent sous forme de vapeur.[iii]

Tout est à la fois dans tout et partout. Ainsi, par cette courte phrase peut-on résumer l’école atomiste. Diogène se fait ici l’héritier de Leucippe et de Démocrite, fondateurs de cette école.

Diogène se comparait au chien, et vivait dans une jarre.

Diogène se comparait au chien, et vivait dans une jarre.

De la vie de Leucippe et Démocrite, presque rien ne nous est parvenu. Seule leur pensée subsiste, et elle est suffisante pour les faire grimper au sommet du génie humain.

Vers -450 avant notre ère, Leucippe quitte la ville de Milet pour Abdère. Milet, la cité de Thalès et d’Anaximandre. Milet, la ville où, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’homme se décida à utiliser sa raison pour étudier le monde, et à ne plus voir ses phénomènes comme la manifestation de la magie des Dieux. Une pensée dont nous sommes tous héritiers. Milet, berceau de la pensée rationnelle, est en proie à des bouleversements politiques lorsque Leucippe décide d’embarquer pour Abdère. Qu’à cela ne tienne, la pensée grecque est colonisatrice. Leucippe fonde en effet une école philosophique à Abdère. Démocrite fut son disciple. A eux deux, ils révolutionnèrent la physique, en fondant une école qui se basait sur une formidable intuition qui ne fut confirmée par l’observation que plus de 2000 ans plus tard. Une intuition sur la nature profonde du monde, constituée de deux choses, des atomes et du vide.

Lorsque vous divisez une chose en deux, par exemple un caillou, vous obtenez deux petits cailloux. Si vous les divisez à nouveau en deux, vous obtenez quatre cailloux, et ainsi de suite. La matière, quelle qu’elle soit, est-elle ainsi divisible à l’infini ?

Je peux casser mon caillou en deux, en quatre, en huit... Jusqu'à ce qu'il devienne un tas de poussière. Puis-je encore diviser ces poussières en deux, en quatre, en huit ? Jusqu'à quand, jusqu'où ?

Je peux casser mon caillou en deux, en quatre, en huit… Jusqu’à ce qu’il devienne un tas de poussière. Puis-je encore diviser ces poussières en deux, en quatre, en huit ? Jusqu’à quand? Où s’arrête l’infiniment petit ?

La réponse, pour Leucippe, est non. Les atomes, du grec insécable, sont les pièces maîtresses de la réalité. L’atome ne peut être coupé en deux. Il n’a pas de poids, de couleur ou de saveur. L’Univers tout entier ne se compose que d’un nombre infini d’atomes agglomérés entre eux et de vide.

En s’agglomérant aléatoirement les uns les autres, les atomes constituent le monde que nous connaissons. Ils se combinent entre eux, font et défont, tissent des liens, se déplacent. De cette succession de mouvement naissent les étoiles, la Terre, la mer, les arbres, les hommes. Tout ce qui existe n’est qu’un ensemble d’atomes dont la forme, l’ordre et la position diffèrent. Voilà la réalité, disent les atomistes [iv].

Diogène peut donc prôner sans honte le cannibalisme. Car tout est en tout. Quelle différence entre la chair d’un animal sauvage et celle d’un homme ? Aucune, il ne s’agit que d’atomes assemblés différemment.

Une analogie très célèbre de Démocrite pour expliquer l’atomisme, reprise dans le poème de Lucrèce, compare les atomes aux lettres de l’alphabet. Une comédie et une tragédie ne sont-elles pas composées des mêmes lettres ? Leur sens diffère pourtant tout à fait. Ainsi donc de la réalité qui n’est que le produit d’une combinaison d’atomes.

Et ce qui importe pour les atomes identiques
C’est la combinaison qu’ils forment avec d’autres
Et les mouvements qu’ils se communiquent.
Car ceux qui forment ciel, mer, terre, fleuves, soleil
Se trouvent dans les arbres, les moissons, les animaux,
Mais unis à d’autres et mus diversement.
Oui, même dans mes vers, tu vois disséminées
De nombreuses lettres communes à bien des mots,
Pourtant les vers, les mots, il te faut l’admettre,
Diffèrent par leur sens et leur sonorité.
Tel est le pouvoir des lettres par simple transposition,
Mais les atomes disposent de pouvoirs plus nombreux
Pour créer toutes les choses dans leur diversité [v].

Comment une pensée si moderne a-t-elle pu germer aussi précocement dans l’esprit de l’homme ? A quoi est due cette formidable intuition ?

Savoir que Leucippe fut le disciple de Zénon d’Elée peut fournir un premier élément de réponse. Philosophe grec du Vème siècle avant Jésus-Christ, Zénon est surtout connu pour les paradoxes qui portent son nom, et qui prétendent démontrer l’absurdité de la divisibilité à l’infini.

Le paradoxe d’Achille et de la tortue se fonde sur une course à pied entre le célèbre héros et, donc, une tortue. Conscient de ses capacités, Achille accorde gracieusement une avance de mille mètres à la tortue. Selon Zénon, malheureusement jamais Achille ne pourra rattraper l’avance de la tortue : cette dernière gardera toujours son avance.

Pourquoi ? Car lorsqu’il aura finalement comblé les mille mètres d’avance de la tortue, celle-ci aura continué à avancer jusqu’à un point B. Et durant le temps qu’il faudra à Achille pour parvenir au point B, la tortue aura avancé jusqu’à un point C, certes très proche, mais qui demandera à nouveau à Achille un certain temps durant lequel la tortue aura avancé jusqu’à un point D, encore plus rapproché… A chaque fois qu’Achille atteint un point où se trouvait la tortue, celle-ci avance encore un peu plus loin. Jamais Achille ne pourra la rattraper.

La tortue avancera toujours d'une certaine distance, aussi petite soit-elle... Elle gardera une avance, même infinitésimale, sur Achille.

La tortue avancera toujours d’une certaine distance, aussi petite soit-elle… Elle gardera une avance, même infinitésimale, sur Achille.

Le paradoxe de la pierre est encore plus éloquent. Zénon se trouve à, disons, dix mètres d’un arbre, et lance une pierre vers celui-ci. La pierre n’atteindra jamais l’arbre.

Pourquoi ? Car la pierre devra d’abord parcourir la moitié de la distance qui la sépare de l’arbre, soit 5 mètres, puis à nouveau la moitié de la distance qui la sépare de l’arbre, soit 2,5 mètres, puis à nouveau la moitié de cette distance, jusqu’à atteindre des distances infinitésimales. En fait, la pierre devra toujours parcourir la moitié de la distance qui lui reste ; cela représente une infinité d’étapes à franchir, et donc jamais elle ne touchera l’arbre.

Paradoxe de la dichotomie : la pierre va parcourir la moitié de la distance, puis 1/4, puis 1/8, puis 1/16, et ainsi de suite... Elle parcourra toujours la moitié de la distance précédente.

Paradoxe de la dichotomie : la pierre va parcourir la moitié de la distance, puis 1/4, puis 1/8, puis 1/16, et ainsi de suite… Elle parcourra toujours la moitié de la distance précédente.

Ces paradoxes sont aujourd’hui tous résolus, mais ils illustrent bien la question de la divisibilité à l’infini. Pour Leucippe, la réponse à ces paradoxes était sans doute clair : il existe une limite inférieure à la divisibilité.

Démocrite fournit d’autres arguments en faveur de l’existence des atomes. Il imagine ainsi que l’usure d’une roue pouvait être due à la perte lente et répétée d’infimes particules invisibles à l’œil nu.

Les écrits de Démocrite, nombreux et couvrant des sujets extrêmement vastes, ont tous disparus. Au début de sa Petite Cosmologie, il écrit : « Dans cet ouvrage, je traite de tout. »

Ah combien il est frustrant de penser à ces œuvres perdues sur lesquelles jamais nous ne pourrons poser les yeux ! Mais gardons loin de nous tout désespoir : il est aussi fascinant de reconstituer la pensée d’un auteur, fragment par fragment, presque atome par atome, pourrait-on dire… Et puis, il nous reste tout de même le De Natura Rerum, et ça, ce n’est pas rien…


[i] Deux autres copies du IXème siècle existent, mais leur influence dans le monde intellectuel de l’époque est quasi nulle.
[ii] A lire sur la découverte du Pogge, Quattrocento de Stephen Greenblatt.
[iii] Diogène Laërce, VI, 73.
[iv] Précision important : l’atome antique n’est pas l’atome moderne, ou pas tout à fait. L’atome est en effet sécable : des particules plus petites existent.
[v] Lucrèce, De Natura Rerum,  I, 817 – 829

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La science d’Interstellar – 5 – Le cylindre O’Neill http://dans-la-lune.fr/2015/11/08/la-science-dinterstellar-5-le-cylindre-oneill/ http://dans-la-lune.fr/2015/11/08/la-science-dinterstellar-5-le-cylindre-oneill/#comments Sun, 08 Nov 2015 15:23:12 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=57 Ce dossier se compose d’une série d’articles  autour du livre de Kip Thorne, The Science of Interstellar, qui explique le travail de l’astrophysicien sur le film de Christopher Nolan, Interstellar. 1 – Les trous de ver 2 – Le trou noir, Gargantua 3 – Le tesseract 4 – Eux, les êtres du bulk 5 – Le cylindre […]

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Ce dossier se compose d’une série d’articles  autour du livre de Kip Thorne, The Science of Interstellar, qui explique le travail de l’astrophysicien sur le film de Christopher Nolan, Interstellar.

1 – Les trous de ver
2 – Le trou noir, Gargantua
3 – Le tesseract
4 – Eux, les êtres du bulk
5 – Le cylindre O’Neill

Aujourd’hui, la station Cooper, qui sert de décor à la séquence finale, fortement inspirée d’un cylindre O’Neill.

O’Neill ? Comme April ?

Le professeur O'Neill et son célèbre casque futuriste.

Le professeur O’Neill et son célèbre casque futuriste.

Non, pas tout à fait. Je parle du professeur O’Neill. Le professeur Gerard K. O’Neill est optimiste et ambitieux. Après la réussite du programme Apollo qui vit la NASA envoyer l’homme sur la Lune, on pouvait l’être. A l’époque, la conquête spatiale a le vent en poupe, et de multiples projets ambitieux sont envisagés.

Dans l’article « La Colonisation de l’Espace » publié en septembre 1974 dans la revue Physics Today[i], O’Neill résume le travail entrepris depuis 1969 avec ses étudiants, initialement dans le cadre d’une introduction à son cours de physique.

O’Neill est clair: nous pouvons coloniser l’espace, et si l’effort est mis en place rapidement, d’ici un siècle toute l’activité industrielle humaine pourrait être déplacée hors de la fragile biosphère de la Terre. O’Neill ne fait pas dans la prospective ou le futurisme : il conçoit ainsi une structure composée de deux gigantesques cylindres, construite avec les technologies de l’époque, et destinée à faire vivre en autosuffisance. une communauté de plusieurs millions d’hommes dans l’espace.

O’Neill commence par énumérer les conditions requises par un tel projet : une gravité normale, un cycle jour et nuit, une lumière naturelle (issue du soleil), une apparence proche de celle de la terre, une utilisation efficace de l’énergie solaire. Et il en vient à la conclusion que la seule structure géométrique capable de répondre à ces exigences est un cylindre, ou plutôt une paire de cylindre tournant autour de leurs axes. Ces cylindres sont composées de six tranches alternées : trois tranches de terre (destinées à l’agriculture ou aux habitations) et trois tranches de verre (des miroirs destinés à faire entrer la lumière du Soleil). L’axe des cylindres est toujours pointé vers le Soleil. La période de rotation des cylindres est de deux minutes.

Ça donne plutôt envie, faut l'avouer.

Ça donne plutôt envie, faut l’avouer.

Les cylindres O’Neill ont évidemment essaimé la science-fiction, aussi bien en littérature (Rendez-vous avec Sama d’Arthur C. Clarke), qu’au cinéma (Elysium de Neil Blomkamp et donc Interstellar).

La représentation d’Interstellar

Kip Thorne a été élève du professeur O’Neill. Rien d’étonnant donc à ce que le cylindre présenté à la fin d’Interstellar soit assez fidèle à ses travaux. Cette scène est évidemment déroutante : Copper, à travers la fenêtre de sa chambre d’hôpital, observe le lancer d’un jour de base-ball : la balle atteint la vitre d’une maison située au-dessus de lui ! Une scène qui n’est pas sans rappeler Inception et les toits de Paris qui se renversent.

Inception, yep.

Inception, yep.

Comment diable un tel tour de force est possible ?

Rappelez-vous. Dans Interstellar, deux plans pour sauver l’humanité sont évoqués par le professeur Brand.

  • Le Plan A est le plan idéal. Aller dans le trou de ver, visiter les trois planètes potentiellement habitables, en trouver une qui puisse accueillir l’humanité, puis envoyer des données vers la Terre, permettant de résoudre la fameuse équation de Brand et donc d’organiser un sauvetage massif de l’humanité grâce à ce cylindre que Cooper visite avec le professeur Brand peu avant son départ.
  • Le Plan B consiste à démarrer une nouvelle colonie sur une planète habitable à l’aide d’embryons congelés stockés dans l’Endurance, laissant donc la Terre et ses habitants à l’abandon.

En réalité, Brand le confesse à sa fille sur son lit de mort, le plan A n’a jamais existé, il ne s’agissait que d’une ruse pour convaincre Cooper de sauver sa fille (et l’humanité, tout de même). Brand ne pouvait résoudre son équation sur la gravité, ne réussissant pas à réconcilier les lois de la relativité générale avec celles de la mécanique quantique.

"Monte dans ta fusée et va sauver ta conne de fille, Cooper."

« Monte dans ta fusée et va sauver ta conne de fille, Cooper. »

OK, soit. Et donc ?

La clé réside évidemment dans les données que le robot TARS récupère dans la Singularité du trou noir Gargantua, et que Cooper transmet à sa fille Murph en morse sur les aiguilles de sa montre. Murph apprend ainsi à contrôler les anomalies gravitationnelles. Selon Kip Thorne, elle découvre même comment réduire la constante gravitationnelle de Newton (G) et ainsi s’échapper de l’attraction de la Terre.

Isaac Newton, mécontent de l'utilisation faite par Holywood de son travail.

Isaac Newton, mécontent de l’utilisation faite par Hollywood de son travail.

Permettons-nous une petite équation : g = Gm/r².

  • G est donc la constante gravitationnelle de Newton, c’est la proportionnalité de l’attraction entre deux masses, par exemple une planète et son étoile.
  • m est la masse de la Terre.
  • r² est le rayon au carré de la planète, c’est-à-dire la distance entre le centre et la surface.
  • g représente l’intensité de la gravité à la surface de la Terre.

En vertu de cette équation, diviser G par deux c’est réduire la gravité de la Terre par deux. Diviser G par 100, c’est réduire la gravité de la Terre par 100. C’est diminuer donc la vitesse de libération[ii] nécessaire pour qu’un objet, par exemple une station spatiale, échappe à l’attraction gravitationnelle de la Terre et s’en aille dans l’espace.

Ça c’est de la science, mon bonhomme. S’est passé quoi ensuite ?

Tout cela n’est pas montré ou expliqué dans le film, mais Kip Thorne le précise dans son livre : on ne réduit pas ainsi à la volée la constante gravitationnelle sans quelques dégâts. Le cœur de la Terre, n’étant plus soumis au poids énorme des couches qui l’entourent, s’est violemment déplacé, entraînant de nombreux cataclysmes (tremblements de terre, tsunamis, etc.).

Un prix terrible à payer, mais comme l’écrit Kip Thorne :

L’humanité était sauvée.


[i] http://www.askmar.com/Massdrivers/1974-9%20Space%20Colonization.pdf
[ii] https://fr.wikipedia.org/wiki/Vitesse_de_lib%C3%A9ration

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La science d’Interstellar – 4 – Eux, les êtres du bulk http://dans-la-lune.fr/2015/11/08/la-science-dinterstellar-4-eux-les-etres-du-bulk/ http://dans-la-lune.fr/2015/11/08/la-science-dinterstellar-4-eux-les-etres-du-bulk/#respond Sun, 08 Nov 2015 15:13:58 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=46 Ce dossier se compose d’une série d’articles  autour du livre de Kip Thorne, The Science of Interstellar, qui explique le travail de l’astrophysicien sur le film de Christopher Nolan, Interstellar. 1 – Les trous de ver 2 – Le trou noir, Gargantua 3 – Le tesseract 4 – Eux, les êtres du bulk 5 – Le cylindre […]

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Ce dossier se compose d’une série d’articles  autour du livre de Kip Thorne, The Science of Interstellar, qui explique le travail de l’astrophysicien sur le film de Christopher Nolan, Interstellar.

1 – Les trous de ver
2 – Le trou noir, Gargantua
3 – Le tesseract
4 – Eux, les êtres du bulk
5 – Le cylindre O’Neill

Aujourd’hui, « Eux », les êtres du bulk.

Plusieurs fois le film fait référence à ces « êtres du bulk ». Souvent appelés sobrement « Eux » par Amelia Brand. Eux, qui auraient placés le trou de ver près de Saturne. Eux, qui seraient à l’origine du tesseract qui permet à Cooper de communiquer avec sa fille.

L’impasse de la physique actuelle

Un trou noir, mesdames et messieurs !

Un trou noir, mesdames et messieurs !

Avant d’évoquer les membranes, le bulk et la théorie des cordes (on va rire, vous allez voir), faisons rapidement le point sur la physique actuelle. Le bilan est mitigé[i]. La physique quantique, qui régit le monde de l’infiniment petit (au niveau atomique) est incompatible avec la relativité générale, qui régit le monde de l’infiniment grand (le cosmos). Pourtant, indépendamment l’une de l’autre ces deux théories fonctionnent toutes deux à merveille et décrivent parfaitement le fonctionnement du monde. En plus d’être régulièrement confirmées par l’expérience. Quel est le problème, alors ? Certains objets ou phénomènes encore mystérieux, comme les trous noirs ou l’Univers primordial (juste après le Big Bang), sont concernés par les deux théories à la fois. Elles entrent toutes les deux en jeu. Et se contredisent. Rassurez-vous, votre réalité ne va pas s’en trouver bouleversée, puisque cette incompatibilité intervient uniquement à petite échelle, très petite échelle (et c’est un euphémisme), de l’ordre de la longueur de Planck, soit 10-33 centimètres (un dixième de millionième de milliardième de milliardième de la taille d’un atome).

Les chercheurs sont donc depuis longtemps en quête d’une théorie unifiée, parfois un peu pompeusement appelée « théorie du tout », véritable Graal de la physique. Einstein a passé les trente dernières années de sa vie à la recherche d’une telle théorie, sans succès. Apparue dans les années 60, la théorie des cordes semble répondre aux attentes des chercheurs[ii]. Le physicien américain Brian Greene a consacré un excellent livre de vulgarisation sur le sujet, intitulé L’Univers Elégant. Il compare cette théorie à un superordinateur dont personne ne disposerait du mode d’emploi.

Il faudra certainement des dizaines, voire des centaines d’années avant que la théorie des cordes ne soit déployée et réellement comprise. […] Les mathématiques qui sous-tendent la théorie des cordes s’avèrent si compliquées que personne, à ce jour, ne sait quelles sont les équations qui régissent la théorie.

De quoi donner du fil à retordre aux futurs génies des décennies à venir.

Ok, cool mec, mais c’est quoi cette foutue théorie des cordes ?

Malheureusement, Kip Thorne n’aborde pas vraiment la chose dans son livre. Tout du moins, pas dans ses fondamentaux. C’est à la fois curieux, puisque le livre est pour le reste très complet, et dommage, puisqu’à ma connaissance Interstellar est le premier film hollywoodien qui aborde la théorie des cordes (pas directement toutefois puisqu’elle n’est jamais citée).

La théorie des cordes suppose que les particules élémentaires (c’est-à-dire celles qui ne sont pas composées de particules encore plus petites) qui façonnent notre monde matériel résultent de la vibration de cordes minuscules. Plus une corde vibre fort, plus la particule qui en résultera sera massive (d’après l’équivalence entre énergie et masse d’Einstein). Une image qui revient souvent dans les ouvrages de vulgarisation est celle du violon. Tout comme la corde de cet instrument produit toute une variété d’harmoniques  selon la manière dont elle est stimulée, la corde de notre fameuse théorie produit elle diverses particules (photons, électrons, etc.). Ainsi, comme l’écrit poétiquement le physicien Trinh Xuan Thuan dans son livre Désir d’infini,

Ces « cordes » chantent et vibrent autour de nous, et le monde n’est en somme qu’une vaste symphonie.

Trinh Xuan Thuan aime se caresser la joue.

Trinh Xuan Thuan aime se caresser la joue.

Pour fonctionner, cette théorie suppose l’existence de dimensions spatiales supplémentaires. Accrochez-vous : nous pourrions en fait vivre dans un univers à neuf dimensions spatiales ! Nous n’en voyons malheureusement que trois car les autres sont minuscules, enroulées sur elles-mêmes et donc invisibles à nos yeux… D’autres physiciens vont encore plus loin et évoquent jusqu’à vingt-cinq dimensions spatiales !

Il existe à ce jour cinq théories des cordes, qui font notamment varier le type de cordes et le nombre de dimensions. Unifiées, elles portent le nom de Théorie M (peut-être pour « membrane ») [iii]. Dans ce modèle cosmologique, notre univers tout entier serait contenu dans une membrane, qui elle-même serait contenue dans un hyper-espace appelé le bulk.

Nature des êtres du bulk

Si ces êtres du bulk existent, alors de quoi sont-ils faits ? Certainement pas d’atomes, comme nous, puisque les atomes, étant en trois dimensions, ne peuvent exister que dans un monde à trois dimensions spatiales, et non quatre. Cela vaut aussi pour les particules subatomiques, les champs électriques et magnétiques, en somme tout ce qui gouverne notre monde. Les physiciens pensent aujourd’hui que toutes ces forces et particules sont confinées dans notre membrane, à l’exception d’une seule : la gravité et la déformation de l’espace-temps que celle-ci provoque. Voilà la seule chose qui pourrait subsister dans le bulk. Evidemment, d’autres matières et d’autres forces pourraient s’y trouver, mais à ce jour nous ignorons leur nature. Il est possible de spéculer, et d’ailleurs les physiciens spéculent (comme le professeur Brand sur son tableau), mais aucune expérience ou observation ne peut confirmer ces spéculations.

Il est en tout cas raisonnable de penser que si des forces ou de la matière existent au sein du bulk, nous ne serons jamais en mesure de les sentir ou de les voir. S’il vient à l’idée à un être du bulk de traverser notre membrane, pour passer un bonjour amical à votre mère-grand par exemple[iv], et bien cette pauvre vieille n’y verrait rien, et en aucun cas parce que sa vue a la fâcheuse tendance à baisser. Par contre, votre grand-mère pourrait sentir la gravité de cet être du bulk, et la façon dont celle-ci déforme l’espace-temps. Puisque, nous l’avons, la gravité est une force commune à notre membrane et au bulk.

Les êtres du bulk d’Interstellar

Tous les personnages d’Interstellar croient en l’existence des êtres du bulk, surnommés  le plus souvent « Eux ». Amelia Brand pense qu’ils ont placés le trou de ver près de Saturne volontairement, afin de permettre aux hommes de voyager bien au-delà des frontières de la Voie Lactée.

L’une des idées de Nolan est que les êtres du bulk sont en fait nos descendants, qui ont acquis la faculté de vivre dans une dimension supplémentaire. Cooper, dans le tesseract, suggère cette idée à TARS. Les êtres du bulk viennent à son secours, tout comme lui vient au secours de sa fille Murph. Le choix est laissé au spectateur de croire ou non en la véracité de cette assertion : aucune réponse claire n’est donnée.

Les anomalies gravitationnelles

Les anomalies gravitationnelles sont des événements qui ne répondent pas à notre compréhension actuelle des lois de l’Univers. Depuis les années 1850, les physiciens ont souvent tenté de les découvrir et de tâcher d’expliquer leurs causes, parce qu’une anomalie est susceptible de bouleverser nos conceptions, et d’initier une véritable révolution scientifique.

En 1859, l’astronome français Urbain Le Verrier découvre une anomalie dans l’orbite de Saturne. Se fondant sur les lois de Newton, il en déduit la présence d’une planète encore plus proche du Soleil que Mercure, et qui exerce une force gravitationnelle sur celle-ci ; il la baptise Vulcan. Mais cette planète, évidemment, n’existe pas : c’est donc que quelque part, les lois de Newton sont fausses ou incomplètes. Il faudra attendre la théorie de la relativité d’Einstein  pour comprendre à quoi était due cette anomalie.

En 1933, l’astrophysicien Fritz Zwicky annonce avoir découvert une énorme anomalie dans un amas de galaxie appelé Coma et situé à 300 millions d’années-lumière de la Terre. Les galaxies se déplaçaient si rapidement que leur force gravitationnelle ne devait normalement pas leur permettre de rester ensemble dans le même amas. Ainsi fut découverte la fameuse matière noire, dont la gravité est assez forte pour retenir ces galaxies les unes aux autres. Matière hypothétique, invisible et qui pourtant composerait environ un quart de la densité d’énergie de notre Univers…

L'amas de galaxies Coma.

L’amas de galaxies Coma.

En 1998, deux groupes de chercheurs découvrent une anomalie dans l’expansion de notre Univers. Cette expansion semble s’accélérer dans le temps. L’Univers grossit de plus en plus. Or cette expansion devait normalement diminuer, car tous les objets de l’Univers s’attirent les uns vers les autres avec la gravité. Deux solutions : ou bien les lois d’Einstein sont erronées quelque part, ou bien une autre énergie exerce sa force gravitationnelle. Ainsi fut découverte la mystérieuse énergie noire. Rendez-vous compte : 67% de la masse de l’Univers est cette énergie noire, 27% de la matière sombre, et 5% la matière qui compose tout ce que nous voyons, tout ce dont nous sommes faits, nous, les hommes, les étoiles et les galaxies.

Ces trois exemples illustrent l’idée que l’anomalie chamboule l’idée que nous nous faisons de ce qui est vrai et de ce qui est faux, et qu’elle est à l’origine de plusieurs révolutions scientifiques.

Les anomalies d’Interstellar sont un peu différentes, car elles sont visibles sur la Terre. Elles sont apparues, d’après Amelia Brand, environ cinquante ans avant le début du film. Cooper en a été victime plusieurs fois, comme il le raconte à Romilly dans l’introduction (quelque chose a modifié la commande de vol électrique de son Ranger), puis lorsque le système GPS de ses moissonneuses-batteuses se dérègle. Sa fille, Murph, interprète les anomalies gravitationnelles de sa chambre (la poussière sur le sol, les livres qui tombent) comme les agissements d’un fantôme.

Anomalie gravitationnelle spotted !

Anomalie gravitationnelle spotted !

L’équation du professeur Brand

Thorne le facétieux dessine une bite sur un tableau.

Thorne le facétieux dessine une bite sur un tableau.

Trouver la cause de ces anomalies gravitationnelles revêt une importance primordiale. D’abord pour révolutionner la physique, donc, et ensuite parce que contrôler ces anomalies pourrait permettre à la NASA d’envoyer dans l’Espace des colonies d’êtres humains pour trouver un nouveau refuge loin de la Terre mourante. La clé pour comprendre ces anomalies est une équation qu’il tente de résoudre avec sa fille Murph.

D’après Thorne, le professeur Brand est vite convaincu que la source de ces anomalies est la gravité venant de la cinquième dimension, du bulk. Et ce pour une raison simple : puisque rien n’a changé dans notre monde, dans notre membrane, alors quelque chose  changé dans un autre monde, le bulk, et nous en ressentons les effets gravitationnels (la gravité étant la seule force à même de passer du bulk vers notre membrane). Ces anomalies du bulk, peut-être provoquées volontairement par « Eux » permettent d’éviter au trou de ver de se refermer, et d’éviter à notre monde d’être détruit par collision avec d’autres membranes. Ce sont là les spéculations du professeur, qui tendent à confirmer l’existence du bulk.

Résoudre l’équation signifie comprendre comment se produisent ces anomalies, puis en déduire comment les contrôler. Malheureusement, comme le professeur Brand le confie à Murph sur son lit de mort, il n’a jamais cru pouvoir résoudre cette équation. Comme le découvrira peu après Murph, en réalité Brand disposait de la moitié de la solution seulement ; l’autre moitié se trouvant dans un trou noir. Cooper, depuis le tesseract, transmettra à sa fille, grâce à des anomalies gravitationnelles, les données nécessaires pour résoudre l’équation.  La boucle est bouclée.


[i] https://www.youtube.com/watch?v=8mSed9Du0kU
[ii] http://www.cafardcosmique.com/La-theorie-des-supercordes
[iii] http://www.astrosurf.com/luxorion/univers-11dimensions.htm
[iv] Si par malheur votre chère mère-grand n’est plus de ce monde, prière d’oublier cet exemple honteux, et la substituer par un autre membre de votre famille. Si famille il n’y a pas, prière de ne pas m’en tenir rigueur et de la substituer par un animal ou un ami imaginaire.

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La science d’Interstellar – 3 – Le tesseract http://dans-la-lune.fr/2015/11/08/la-science-dinterstellar-3-le-tesseract/ http://dans-la-lune.fr/2015/11/08/la-science-dinterstellar-3-le-tesseract/#comments Sun, 08 Nov 2015 15:01:26 +0000 http://dans-la-lune.fr/?p=35 Ce dossier se compose d’une série d’articles  autour du livre de Kip Thorne, The Science of Interstellar, qui explique le travail de l’astrophysicien sur le film de Christopher Nolan, Interstellar. 1 – Les trous de ver 2 – Le trou noir, Gargantua 3 – Le tesseract 4 – Eux, les êtres du bulk 5 – Le cylindre […]

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Ce dossier se compose d’une série d’articles  autour du livre de Kip Thorne, The Science of Interstellar, qui explique le travail de l’astrophysicien sur le film de Christopher Nolan, Interstellar.

1 – Les trous de ver
2 – Le trou noir, Gargantua
3 – Le tesseract
4 – Eux, les êtres du bulk
5 – Le cylindre O’Neill

Aujourd’hui, le tesseract.

A la fin du film, après avoir passé l’horizon des événements du trou noir, Cooper s’éjecte du vaisseau pour éviter d’atteindre la singularité et d’être réduit à néant. Bientôt, lui et le robot TARS parviennent dans un endroit aux propriétés étonnantes, le tesseract.

Pardon, le quoi ?

Le tesseract. Il est vrai que cette scène a surpris, voire déçu beaucoup de spectateurs. Comment, une bibliothèque au centre d’un trou noir ? Au-delà des critiques scénaristiques légitimes, cette scène a le mérite de présenter en filigrane un objet bien moins connu du grand public qu’un trou de ver ou un trou noir – et pour autant tout aussi fascinant bien que complètement spéculatif. Il faut déjà bien comprendre qu’un esprit humain ne peut pas visualiser un tesseract. C’est impossible.

Le temps : la quatrième dimension

Nous vivons dans un espace à trois dimensions : largeur, hauteur, et profondeur. Pour donner rendez-vous à un ami, nous lui indiquons un point précis, intersection de ces trois dimensions. Rendez-vous rue Victor Hugo, au numéro 12, au troisième étage. Toutefois, pour qu’un rendez-vous soit précis, il faut y ajouter une heure précise. Le temps : voilà la quatrième dimension. Une dimension différente. Si nous pouvons à loisir nous déplacer dans l’espace, en avant et en arrière, en revanche nous ne pouvons pas remonter le temps qui avance inexorablement vers le futur. Les lois de la relativité interdisent les voyages dans le passé, avec ou sans DeLorean. Notre univers est donc composé de trois dimensions spatiales et d’une dimension temporelle[i].

Le tesseract : chaque face est un cube.

Le tesseract : chaque face est un cube.

Flatland

Kip Thorne et Christopher Nolan, lors de leur première rencontre, ont discuté d’une de leurs lectures communes : le roman Flatland[ii] , de l’écrivain anglais Edwin Abott Abott, paru en 1884. Allégorie originale, elle décrit les aventures d’un carré qui vit dans un monde appelé Flatland (le pays plat). Ce carré visite une contrée appelé Lineland (le pays de la ligne), un monde à une dimension ; puis Pointland (le pays du point), à zéro dimension ; et enfin Spaceland (le pays de l’espace), à trois dimensions. Un jour, il est visité par une sphère venue de Spaceland. Pour ce carré, c’est évidemment une nouveauté, extrêmement difficile à appréhender, et impossible à se représenter.

Pourquoi cela ? Le principe est résumé sur le schéma ci-dessous. Imaginez que vous n’êtes rien d’autre qu’un carré qui vit sur une feuille de papier. Une vie modeste et ascétique, n’est-ce pas ? Un jour, un point bleu apparaît sur votre feuille, il grandit et devient un cercle, puis rétrécit, redevient un point, et disparaît. Etant un carré plus intelligent que la moyenne, la seule solution raisonnable, à vos yeux, est que vous venez d’être visité par un être qui vit dans un monde contenant une dimension supplémentaire.

Une sphère d'un monde en 3D (à droite) visite un monde en 2D (à gauche).

Une sphère d’un monde en 3D (à droite) visite un monde en 2D (à gauche).

Le tesseract

Du point au cube.

Du point au cube.

Le tesseract est au cube ce que le cube est au carré. C’est un hypercube, un cube à quatre dimensions. C’est une manière visuelle de représenter en trois dimensions un espace à quatre dimensions. Procédons, comme le fait Kip Thorne, par étapes. Si nous prenons un point et le déplaçons dans un espace à une dimension, nous obtenons une ligne. Cette ligne a deux faces, ce sont des points. Si nous déplaçons cette ligne dans un espace à deux dimensions, nous obtenons un carré. Ce carré a quatre faces, ce sont des lignes. Ce carré, déplacé dans un espace à trois dimensions, devient un cube. Le cube a six faces, chacune de ses faces est un carré. Si nous déplaçons ce cube dans un espace à quatre dimensions, nous obtenons un tesseract. Le tesseract a huit faces, ce sont des cubes. Ces huit faces ont trois dimensions, tandis que l’intérieur, le bulk, a quatre dimensions.

La pièce dans lequel pénètre Cooper est l’un des cubes du tesseract, modifié cependant de façon complexe par Christopher Nolan. Comme précisé au début de l’article, le cerveau humain ne peut pas se représenter un univers à quatre dimensions spatiales, tout comme le carré de Flatland ne peut pas se représenter une sphère. D’où cette remarque de Thorne :

Parce que Cooper est fait d’atomes tenus ensemble par des forces électriques et nucléaires, qui ne peuvent exister que dans un monde à trois dimensions d’espace et une dimension de temps, il est confiné dans l’une des faces en trois dimensions (l’un des cubes) du tesseract. Il ne peut pas appréhender sa quatrième dimension spatiale.

Jamais le bulk, le centre du tesseract, n’est donc montré dans le film. A vrai dire, nous ne pouvons même pas le voir, puisque la lumière se déplace seulement dans des espaces à trois dimensions, comme les faces du tesseract.

Selon l’interprétation de Thorne, le tesseract se déplace ensuite à travers l’univers, pour se placer derrière la chambre de Murphy, près de la fameuse bibliothèque.

tesseract_chambre

Et là, mon Dieu, les choses se compliquent. N’hésitez donc pas, à titre préventif, à prévoir auprès de vous une boîte d’aspirines en cas de migraine inopinée.

Cooper est en mesure de voir sa fille à travers les six murs de la face de son tesseract. Lorsqu’il regarde à droite, il voit la chambre de Murphy depuis le mur de droite. Lorsqu’il regarde à gauche, il la voit depuis le mur de gauche. Vers le haut, depuis le mur du haut. Et ainsi de suite. Cooper voit donc six chambres, même si en réalité il n’y en a qu’une, mais vue depuis six points différents. Comme une image vaut mille discours, n’est-ce pas, voici un schéma qui sera certainement plus explicite, tout du moins j’ose l’espérer.

tesseract_chambre2

Ceci est le postulat de départ du tesseract. La représentation visuelle du film est différente, à cause des modifications complexes conçues par Nolan. La première particularité est que chaque vue de la chambre de Murphy ne couvre qu’un tiers du mur de Cooper. La seconde est que le temps est également représenté physiquement, comme le précise TARS à Cooper. Ce sont des extrusions qui semblent s’étendre indéfiniment, comme un treillis. C’est ce qui explique qu’entre chaque représentation de la chambre de Murphy, le spectateur peut voir ces espèces de bandes colorées qui ne sont rien d’autre que le flux du temps. A chaque intersection de deux extrusions de temps, il y a une chambre de Murphy telle qu’elle était à un moment donné dans le temps. Cooper peut très facilement voyager d’un instant à un autre en se déplaçant dans le tesseract. Lorsqu’il se déplace vers le haut, il avance dans le temps ; au contraire lorsqu’il se déplace vers le bas il recule dans le temps. Cette infinité de chambres qui est représentée dans le film n’est évidemment qu’une seule et même chambre mais à des instants différents.

Sur un schéma de Kip Thorne, cela donne ceci :

Mal de crâne.

Mal de crâne.

Et dans le film :

Tesseract-Interstellar2

Comme le suggère Brand, pour les êtres du bulk, le temps n’est qu’une dimension physique comme une autre, et passé comme futur ne sont peut-être pour eux que des montagnes à gravir.

Petit apparté sur le voyage dans le temps

Cooper se déplace donc pépère dans le passé, l’air de rien, épiant sa petite fille de son enfance jusqu’à l’âge adulte, découvrant peut-être avec stupeur des moments pudiques que le film nous épargne heureusement. Mais voyager dans le passé n’est-il pas interdit par les lois de la physique ? Difficile à dire. Kip Thorne lui-même le souligne :

Les lois du voyages vers le passé sont gouvernées par la physique quantique, qui demeure quasiment une terra incognita, et nous physiciens peinons à dire ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas.

Christopher Nolan a donc fait un choix. Rien ne peut voyager dans le passé, ce qui génère d’ailleurs le drame familial de Cooper. Rien hormis une chose : la force gravitationnelle, qui peut porter des messages vers le passé. Cooper s’en rend compte en tentant de pousser un livre de la bibliothèque. Découvrant qu’il est lui-même le fantôme qui effrayait sa fille, il utilise ensuite cette gravité pour transférer des données quantiques vers le passé, afin que Murph puisse résoudre l’équation du professeur Brand et sauver l’humanité.

Salut, ici ton père dans le futur. Tout va bien et il fait beau. Ci-joint quelques données quantiques.

Comment ce voyage dans le temps de la force gravitationnelle peut-il bien fonctionner ? En 1987, après avoir travaillé sur le roman Contact de Carl Sagan, Kip Thorne découvre une propriété particulière des trous de ver. Les lois de la relativité d’Einstein permettraient de les « transformer » en machines à remonter le temps. Une théorie à laquelle n’adhère pas Stephen Hawking, pour qui ces détails particuliers des trous de ver sont gérés par la physique quantique (qui décrit le comportement des particules de l’infiniment petit), domaine encore trop méconnu pour affirmer quoi que ce soit. Selon Hawking, les lois de la physique empêcheront toujours les voyages vers le passé, gardant ainsi l’Univers sain et sauf pour les historiens.

Pour autant, Thorne fournit une interprétation de cette étonnante faculté de la gravité à voyager dans le temps. Comment le livre que Cooper tente de pousser à l’intérieur du tesseract peut-il bien tomber dans la chambre de Murph ? Il utilise pour cela une analogie avec l’un des célèbres desseins du célèbre artiste néerlandais Escher[iii], bien connu pour ses trompe l’œil. Waterfall présente un étonnant paradoxe visuel lié aux proportions : l’eau de la base d’une chute d’eau semble descendre le long d’un aqueduc, avant d’atteindre le haut de la même chute d’eau.

Waterfall, par Escher.

Waterfall, par Escher.

Rappelons tout d’abord que le tesseract est un objet dont les faces – des cubes – sont en trois dimensions, et dont l’intérieur – le bulk – est en quatre dimensions.  Tout ce que nous voyons dans le film est contenu dans l’une des faces du tesseract. Nous ne voyons jamais le bulk, puisque, comme expliqué précédemment, la lumière ne peut pas voyager dans des espaces à quatre dimensions. En revanche, la gravité le peut.

Selon Thorne, si Cooper aperçoit un livre dans la chambre de Murph, c’est parce qu’un rayon de lumière traverse les faces du tesseract. Et lorsqu’il pousse ce livre, il génère un signal gravitationnel qui traverse le bulk et arrive dans la chambre de Murph avant même qu’il n’ait été généré. C’est plus clair sur un schéma, comme toujours.

En rouge, ce que voit Cooper (le rayon de lumière). En violet, la force gravitationnelle générée lorsqu'il pousse le livre.

En rouge, ce que voit Cooper (le rayon de lumière). En violet, la force gravitationnelle générée lorsqu’il pousse le livre.

Le courant de l’eau du dessin d’Escher qui tombe de la chute est le rayon de lumière, et le courant qui circule dans l’aqueduc la force gravitationnelle.

Eurêka !


[i] https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00167263/document
[ii] http://fr.wikipedia.org/wiki/Flatland
[iii] http://fr.wikipedia.org/wiki/Maurits_Cornelis_Escher

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Ce dossier se compose d’une série d’articles  autour du livre de Kip Thorne, The Science of Interstellar, qui explique le travail de l’astrophysicien sur le film de Christopher Nolan, Interstellar.

1 – Les trous de ver
2 – Le trou noir, Gargantua
3 – Le tesseract
4 – Eux, les êtres du bulk
5 – Le cylindre O’Neill

Aujourd’hui, le trou noir Gargantua.

Après avoir traversé le trou de ver, Cooper et son équipe découvrent un paysage cosmique stupéfiant : un gigantesque trou noir, Gargantua, autour duquel orbitent plusieurs planètes.

Le trou noir ou l’objet cosmique fascinant par excellence

Il est invisible. Aucun télescope ne l’a jamais observé. Ce qui est logique, puisqu’il avale tout ce qui passe à la portée de son appétit gargantuesque, y compris la lumière. Rien ne ressort d’un trou noir, objet qui peut concentrer jusqu’à plusieurs milliards de masses solaires (pour rappel la masse du soleil est d’environ 2 milliards de milliards de milliards de tonnes) dans un volume extrêmement réduit.

Le croquis de Thorne pour expliquer l'image de la fourmi sur le trampoline.

Le croquis de Thorne pour expliquer l’image de la fourmi sur le trampoline.

En fait, les trous noirs sont des déformations de l’espace et du temps. L’image utilisée par Thorne est celle d’une fourmi sur un trampoline au milieu duquel est posée une pierre. Cette pierre vient déformer le tissu du trampoline. Cette fourmi est aveugle : elle ne voit ni la pierre, ni le tissu qui est déformé. Mais cette fourmi est intelligente, et elle suppose que le tissu est déformé. Pour le déterminer, elle marche en cercle dans la région supérieure du tissu, mesurant ainsi une circonférence. Puis elle marche en ligne droite le centre du trampoline, là où est posée la pierre, et rejoint le cercle de l’autre côté, calculant ainsi son diamètre. Si cet univers était plat, alors la circonférence devrait être π (Pi) multiplié par le diamètre. Or la circonférence est plus petite que le diamètre ! L’univers est donc déformé, se dit cette fourmi. Le trampoline représente l’univers, le tissu déformé le trou noir, et la pierre la singularité. La singularité est une région minuscule, un point où les forces gravitationnelles sont si intenses que l’espace, la matière et le temps n’ont plus cours de la manière dont nous les connaissons. Ce qui s’y passe est un mystère absolu.

Non seulement l’espace est déformé, comme nous venons de le voir, mais le temps l’est aussi. Inexorablement, une fois dépassé l’horizon des événements, plus rien ne peut sortir d’un trou noir, et tout est entraîné vers la singularité. Plus on s’approche de l’horizon des événements d’un trou noir, et plus le temps s’écoule lentement.

La théorie de la relativité d’Einstein démontre qu’une étoile, lorsqu’elle à court de carburant, implose. Si sa masse est trop importante, alors elle s’effondrera sous le poids de sa propre gravité.

Les trous noirs ne sont pas des objets rares dans l’univers. Rien que dans la Voie Lactée, il en existerait environ 100 millions, de taille et de masse variables. Pratiquement chaque grosse galaxie de l’Univers abrite en son cœur un trou noir supermassif. Au centre de la galaxie MGC 1277, à 250 millions d’années-lumière de la Terre, se trouve le trou noir le plus massif jamais mesuré, 17 milliards de fois plus massif que le Soleil[i] !

La représentation d’Interstellar

Elle serait, la presse généraliste n’a pas manqué de le souligner à la sortie du film, d’un réalisme si extrême qu’elle aurait permis à la science d’avancer sur la question des trous noirs ! Ici, point d’aspirateur cosmique ou de tourbillon infernal, que les amateurs de science-fiction sont d’ordinaire habitués à voir en lieu et place d’un trou noir. Gargantua est un cercle entièrement noir, entouré d’un anneau de lumière appelé disque d’accrétion.

Le travail de Kip Thorne

Comment représenter un objet invisible ? Comme expliqué précédemment, nous connaissons les trous noirs uniquement grâce à l’influence qu’ils exercent sur les objets célestes aux alentours. La théorie de la relativité d’Einstein, qui régit justement les comportements de ces objets, permet de déduire facilement toutes les priorités d’un trou noir à partir de deux propriétés principales : sa masse et son moment cinétique (et éventuellement sa charge électrique). Celles-ci influent sur les objets aux alentours ; dans le cas d’Interstellar, la planète de Miller, qui orbite justement autour de Gargantua.

A partir de cette masse et de ce moment cinétique, l’astrophysicien peut déduire la taille du trou noir, sa force gravitationnelle, la manière dont il réfléchit les objets derrière lui, etc. Tout.

Comme l’explique Kip Thorne, que ces deux simples propriétés puissent en dire autant sur un trou noir est intriguant tant cela diffère de l’expérience de la vie quotidienne.

C’est comme si, à partir de ma taille et de la vitesse à laquelle je cours, vous pourriez déduire la couleur de mes yeux, la taille de mon nez, mon QI, etc.

L’influence de Gargantua sur la planète de Miller

La planète de Miller est suffisamment proche de Gargantua pour en subir les effets, et suffisamment éloignée pour survivre et ne pas être aspirée. Autrement dit, elle ne pourrait pas être placée plus près. C’est cette proximité qui rend possible la dilatation temporelle que nous expliquerons plus tard.

Gargantua déforme la planète de Miller.

Gargantua déforme la planète de Miller.

A partir des effets de la force gravitationnelle de Gargantua sur la planète de Miller, Thorne a calculé la masse du trou noir : elle est de 100 millions de masses solaires, pour une circonférence d’1 milliard de kilomètres. Le rayon d’un trou noir étant égal, selon les physiciens, à sa circonférence divisé par 2π (environ 6,28), alors le rayon de Gargantua est d’environ 150 millions de kilomètres (environ la distance Terre-Soleil).

Quant à sa vitesse de rotation, de même elle est extrêmement élevée, proche du maximum rendu possible par les lois de la physique.

C’est par contrainte scénaristique que Thorne a doté son trou noir de propriétés aussi exceptionnelles. Christopher Nolan voulait en effet que le temps soit extrêmement dilaté sur la planète de Miller, la première visitée par Cooper après avoir traversé le trou de ver. Une heure sur cette planète équivaut en effet à sept années sur Terre ! Thorne se rappelle :

Je ne croyais pas cela possible et l’ai indiqué à Chris qui a insisté : « c’est non négociable ! »

Thorne s’est donc mis au travail et à découvert que si la planète de Miller était suffisamment proche du trou noir sans tomber dedans, et que si le trou noir tournait suffisamment vite, cette dilatation du temps était possible. Peu probable, mais scientifiquement possible.

Qu’est-ce que le disque d’accrétion ?

Un magnifique halo de lumière jaune-orange entoure Gargantua, visuellement similaire aux anneaux de Saturne. C’est ce qu’on appelle un disque d’accrétion, soit de la matière en orbite autour d’un objet céleste. Ici, il s’agit de gaz chaud. Un disque d’accrétion émet normalement de telles radiations (rayons x, rayons gamma, ondes radio et lumières) qu’il grillerait instantanément n’importe quel être humain à proximité.  C’est pour cette raison que le disque d’accrétion de Gargantua est anémique, c’est-à-dire avec un gaz qui ne dépasse pas plusieurs milliers de degrés (au lieu des centaines de millions de degrés de certains quasars). Il diffuse beaucoup de lumière, mais peu de rayons X ou gamma.

Visuellement, le disque est troublant : plutôt que de passer derrière Gargantua (comme les anneaux d’une planète comme Saturne), celui-ci semble l’entourer ! C’est à cause de l’effet dit « de lentille gravitationnelle » du disque par le trou noir[ii]. Pour être plus clair, il s’agit tout simplement d’un mirage qui dévie les rayons lumineux à cause de la courbure de l’espace-temps provoquée par Gargantua.

L'effet de lentille gravitationnelle sur le disque d'accrétion.

L’effet de lentille gravitationnelle sur le disque d’accrétion.

Ce trou noir est-il réaliste ?

Pour un film hollywoodien à grand spectacle, il l’est. Il a en plus le mérite de présenter au grand public un objet fascinant, encore mystérieux, sans tomber dans le sensationnalisme ou le grotesque. Cependant, cette représentation n’est ni totalement fidèle, ni même unique. Dès 1979, comme il l’explique dans un article de son blog[iii], l’astrophysicien français Jean-Pierre Luminet, présente par une simulation sur ordinateur un trou noir entouré d’un disque d’accrétion. En 1991, une vidéo en sera tirée. Cette vidéo est autrement plus réaliste que le trou noir d’Interstellar, et pour une raison simple : elle prend en compte l’asymétrie existante dans le disque d’accrétion, appelée effet Dopler.

Thorne n’est évidemment pas sans ignorer cet effet. Il n’en parle pas dans The Science of Interstellar, mais a promis à Luminet d’y consacrer un article scientifique. Cette omission était selon lui nécessaire pour la compréhension du grand public.

Comme il l’écrit :

Pour la toute première fois dans un film hollywoodien, un trou noir et son disque est représenté comme un être humain le verra quand nous aurons inventé le voyage interstellaire.


[i] http://www.space.com/18668-biggest-black-hole-discovery.html
[ii] http://www.astronomes.com/la-fin-des-etoiles-massives/lentille-gravitationnelle/
[iii] http://blogs.futura-sciences.com/luminet/2014/11/01/interstellar-trou-noir-hollywood-1/

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Ce dossier se compose d’une série d’articles  autour du livre de Kip Thorne, The Science of Interstellar, qui explique le travail de l’astrophysicien sur le film de Christopher Nolan, Interstellar.

1 – Les trous de ver
2 – Le trou noir, Gargantua
3 – Le tesseract
4 – Eux, les êtres du bulk
5 – Le cylindre O’Neill

Aujourd’hui, les trous de ver.

Cooper et son équipe utilisent un trou de ver placé par près de Saturne par « Eux » pour voyager d’un point de l’univers à un autre.

C’est quoi ?

Le meilleur moyen de comprendre ce qu’est un trou de ver, c’est d’imaginer une pomme. La surface de la pomme est notre univers. Pour passer d’un point de cette surface à un autre, un ver a deux solutions : ou bien il parcourt la surface de la pomme, ou bien il la traverse de part en part, de l’intérieur.

Dans ce dernier cas, c’est un raccourci. C’est cette analogie, imaginée par l’astrophysicien John Wheeler, qui a donné son nom aux trous de ver.

Techniquement, un trou de ver est un passage entre, d’un côté, un trou noir qui aspire toute la matière, et de l’autre côté, un trou blanc qui la rejette. Un peu comme le transit intestinal : simple, c’est-ce-pas !

A la différence des trous noirs dont les effets sont observables, les trous de ver ne sont que des objets hypothétiques, dont l’existence n’a jamais été démontrée. Ils ne sont qu’une solution possible aux équations de la relativité générale d’Einstein. La frontière entre l’astrophysique et la métaphysique est parfois ténue : les trous de ver font partie de ces objets stellaires fascinants, terreau inestimable pour la science-fiction, qui divisent la communauté scientifique. Dès lors que la science ne peut plus prouver par l’observation que quelque chose est avéré, parle-t-on encore de science ? Oui, mais alors nous sommes dans le domaine de la spéculation.

L'héroïne du film Contact (1997).

L’héroïne du film Contact (1997).

Interstellar n’est évidemment pas la première œuvre culturelle à évoquer les trous de ver. Contact, le film tiré du roman de Carl Sagan, sorti en 1997, faisait voyager Jodie Foster à travers un trou de ver[i]. Kip Thorne, conseiller du film Interstellat, avait déjà travaillé avec Sagan pour son roman, lui indiquant que l’héroïne ne pouvait pas voyager à travers un trou noir comme dans le manuscrit original puisqu’elle serait tuée par la singularité ; elle devait au contraire utiliser un trou de ver. Eurêka !

Les héros de la série Sliders les utilisent pour passer d’une dimension parallèle à une autre[ii], de même que ceux de Stargate ou Fringe[iii].

Ceci étant dit, revenons sur la découverte – terme délicat puisque rien n’a concrètement été découvert – des trous de ver.

En 1916, un an seulement après la publication des travaux d’Einstein sur la relativité générale, le physicien autrichien Ludwig Flamm découvre qu’une solution à une équation d’Einstein décrit un trou de ver qui relierait un point de l’espace-temps à un autre. Cette découverte fit peu de bruit, et il fallut attendre 1935 pour qu’Einstein et Nathan Rosen découvrent à leur tour, sans avoir eu connaissance des travaux de Flamm, ce qui fut appelé « le pont d’Einstein-Rosen[iv]. »

Le trou de ver de Flamm. A gauche, sa représentation dans un monde en deux dimensions, et à droite dans un monde à trois dimensions.

Le trou de ver de Flamm. A gauche, sa représentation dans un monde en deux dimensions, et à droite dans un monde à trois dimensions.

Dans les années 60, John Wheeler, qui donna donc leur nom aux trous de ver, découvrit avec son étudiant Robert Fuller que ceux-ci ne sont pas statiques dans le temps comme on le pensait alors, mais au contraire qu’ils naissent, grandissent, se contractent et disparaissent.

La représentation d’Interstellar

Dans le film de Nolan, le trou de ver est représenté par une immense sphère, une bulle. Représenté dans un espace à deux dimensions, le trou de ver est un simple cercle. Dans un espace à trois dimensions, comme notre Univers, c’est une sphère sur laquelle est projetée l’image déformée de l’univers de l’autre côté.

Telle une goutte d'eau, le trou de ver réfléchit et déforme l'image qui se trouve "de l'autre côté".

Telle une goutte d’eau, le trou de ver réfléchit et déforme l’image qui se trouve « de l’autre côté ».

Le travail de Kip Thorne

Thorne est très pessimiste au sujet des trous de ver « naturels » c’est-à-dire ceux qui ne sont pas créés artificiellement par une intelligence supérieure. Si ceux-ci existent, alors ils ne concernent qu’une échelle extrêmement réduite, de l’ordre quantique. La taille d’un trou de ver serait d’environ 0.000000000000000000000000000000001 centimètre.

L’espoir le plus sérieux de Thorne réside dans la technologie d’une civilisation bien plus avancée que la nôtre, et qui serait capable d’étirer ces minuscules trous de ver quantiques à une taille suffisante pour permettre à un vaisseau d’y entrer. La procédure est évidemment inconnue.

Thorne le dit lui-même,

Terra extrêmement incongnita […] Le trou de ver d’Interstellar a été mis en place une civilisation ultra-avancée, sans doute celle qui vit dans le bulk. […] Nous avons supposé que les trous de ver sont autorisés par les lois de la physique. Nous avons supposé que les constructeurs de ce trou de ver disposaient de toute la matière exotique nécessaire pour le tenir ouvert. Et qu’ils peuvent déformer l’espace et le temps de la manière qu’ils le souhaitent, dedans et autour du trou de ver.

Thorne fournit au studio responsable des effets visuels, Double Negative[v], plusieurs paramètres qui allaient affecter la représentation du trou de ver qui, qui, en définitive, pense Thorne, est l’une des plus belles scènes du film, avec les magnifiques nébuleuses et étoiles réfléchies par le trou de ver.

Comment le professeur Brand découvrit le trou de ver

Le livre The Science of Interstellar a ceci d’intéressant qu’il vient éclairer et préciser certains points du scénario. Dans le cas de la découverte du trou de ver, comme le précise bien Thorne, il s’agit là d’une extrapolation purement personnelle.

Le professeur Brand, plusieurs décennies avant le début du film, fut le directeur d’un projet appelé LIGO (The Laser Interferometer Gravitational Wave Observatory), chargé de détecter les ondulations du tissu de l’espace arrivant depuis les confins de l’univers jusqu’à la terre. Ces ondulations, des ondes gravitationnelles, peuvent être causées, entre autres, par la collision entre deux trous noirs, ou lorsque l’univers s’est formé suite au Big Bang.

En 2019, LIGO reçut l’onde gravitationnelle d’une étoile à neutrons orbitant autour d’un trou noir. En analysant ces données, le professeur Brand découvre avec stupéfaction que leur source est située près de Saturne ! Une étoile à neutrons et un trou noir près de Saturne ? Impossible ! La seule explication raisonnable était qu’un trou de ver orbitait autour de Saturne, et que ces ondes gravitationnelles voyageaient à l’intérieur.

Pour ne pas complexifier encore plus un film qui abordait déjà de nombreuses théories scientifiques inconnues du grand-public, cette histoire ne fut pas retenue par Nolan dans son scénario, au grand regret de Thorne.

A noter que le projet LIGO existe réellement[vi], qu’il a été cofondé par Thorne en 1983, et qu’il devrait normalement détecter ses premières ondes gravitationnelles d’ici la fin de la décennie.

Le projet LIGO.

Le projet LIGO.


[i] https://www.youtube.com/watch?v=scBY3cVyeyA
[ii] https://www.youtube.com/watch?v=ccoMSNhj-cM
[iii] https://www.youtube.com/watch?v=5IbjHdtXxCk
[iv] http://www.futura-sciences.com/magazines/matiere/infos/dossiers/d/physique-singularites-trou-ver-voyage-spatiotemporel-614/page/4/
[v]  http://www.dneg.com/
[vi]  http://www.ligo.caltech.edu/

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